Affiche-NapoleonIII-petite-327bfA l’occasion d’un Café histoire consacré à la conquête du pouvoir par Napoléon III, l’association Thucydide recevait le 3 avril 2012 l’historien Jérôme Grondeux, maître de conférences à l’université Paris IV Sorbonne, et enseignant également l’histoire des idées politiques à l’Institut Catholique de Paris. Il est l’auteur, entre autres, de Socialisme : la fin d’une histoire ? (Payot, 2012). L’occasion de comparer l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte et la campagne présidentielle de 2012. Histoire pour tous était présent.

Le contexte politique de l’élection de 1848

Pour débuter son propos, Jérôme Grondeux insiste sur la durée très courte de la campagne présidentielle de 1848, qui explique en partie les hésitations de certains hommes politiques. Parmi eux, Adolphe Thiers, qui ne se présente pas, et entretient des rapports complexes avec Louis-Napoléon Bonaparte. Fin politique et sachant qu’il est trop identifié à la bourgeoisie, Thiers a pressenti le raz-de-marée en faveur du futur Napoléon III.

Ce dernier a face à lui un candidat sérieux, le général Eugène Cavaignac, « l’homme des Républicains modérés [les bleus] » comme le précise Jérôme Grondeux. Au pouvoir depuis juin 1848, Cavaignac est un républicain autoritaire qui a su convaincre une partie des conservateurs, comme le comte de Falloux.

Les autres candidats ont des parcours divers, mais ne sont pas des inconnus. Tout d’abord le général Changarnier, poussé par les légitimistes nostalgiques de Charles X ; puis, François-Vincent Raspail, de l’extrême gauche socialiste et révolutionnaire, qui est à ce moment en prison, mais présenté à l’élection par ses amis. Toutefois, ces deux hommes n’ont que peu de chances de menacer les favoris que sont Cavaignac et Louis-Napoléon Bonaparte. Le rôle de troisième homme incombe alors à deux personnalités : Alexandre Ledru-Rollin, chef des Républicains dits de la Montagne [les rouges], homme prudent et lui aussi traînant quelques casseroles ; et Alphonse de Lamartine, « un homme trop maltraité par l’histoire » (selon François Mitterrand, que cite Jérôme Grondeux). Lamartine est « le grand homme du gouvernement provisoire, et il a fait beaucoup pour que la République fasse moins peur en France », d’après Jérôme Grondeux. Mais dépassé par les événements de juin, il est bien « l’illusion lyrique » de la République transcendant les divisions. Jérôme Grondeux voit en lui un mélange de Villepin et Bayrou…

La « ressource extraordinaire » de Louis-Napoléon Bonaparte

Le futur élu, et futur empereur, est un mystère mais a un gros avantage, « une ressource extraordinaire », au moment des élections, et malgré ses déboires précédents : son nom. Dans la France de 1848, la nostalgie de l’Empereur est de retour, après une période de disgrâce peu après sa chute (et même un peu avant…). Napoléon Ier est vu comme un compromis entre l’héritage de la Révolution et le besoin d’ordre, très présent à ce moment, surtout après les journées de juin. Que Louis-Napoléon Bonaparte ait lui aussi quelques casseroles, qu’il ne soit pas bon orateur (« il passerait mal à la tête », dixit Jérôme Grondeux) importe peu finalement. Tout cela permet à Bonaparte d’être bien vu par une bonne part de la société, y compris chez les paysans, particulièrement inquiets des menaces sur la propriété. Louis-Napoléon Bonaparte a bien compris l’importance de celle-ci, et de l’argent plus généralement, et il n’hésite pas à emprunter et à s’endetter. Il n’est donc pas seul, et même soutenu par le Comité de la rue de Poitiers. Il parvient à se présenter comme le candidat du parti de l’ordre, tout en étant indépendant, et pas une marionnette. De plus, Bonaparte « n’a pas le sang des ouvriers sur les mains [et bénéficie] d’une virginité politique » par rapport à ses concurrents principaux.

Une campagne habilement menée

Pour sa campagne, Louis-Napoléon Bonaparte a déjà tout compris de la communication politique, alors même qu’il est un piètre orateur par rapport aux autres candidats. Il axe ses messages sur des affiches ciblées selon le public, ce qui fait dire à Jérôme Grondeux que « Bonaparte a utilisé la triangulation à la manière d’un Tony Blair ». Certains thèmes et la façon de les aborder résonnent curieusement avec la campagne présidentielle de 2012 : l’état du pays, proche de la banqueroute, alors que la France est si riche de compétences et d’atouts ; la nécessité de la sécurité et de l’ordre,…Bonaparte joue aussi de son nom pour appeler à la confiance : « Napoléon sauva la France de l’anarchie à la première Révolution. Le neveu du grand homme, avec son nom magique, nous donnera la sécurité et nous sauvera de la misère », lit-on sur une affiche (citée par Jérôme Grondeux). On voit le religieux dans le politique, ici pleinement assumé.

Le candidat sait séduire à gauche, en appelant au peuple (on est ici dans le populisme revendiqué), et à droite, grâce à l’ordre, la sécurité, et les valeurs chrétiennes (il est d’ailleurs soutenu par l’Eglise, à laquelle il a fait des promesses concrètes, notamment sur l’enseignement). Jérôme Grondeux parle pour cette campagne de « propagande différenciée ». Derrière l’idée d’unité nationale, Louis-Napoléon Bonaparte touche ainsi « les ouvriers, les paysans, les hommes, l’Eglise, les militaires,… ». Et il n’hésite pas à jouer la prophétie auto-réalisatrice en annonçant sa victoire avant l’heure.

Des leçons de la conquête du pouvoir par Louis-Napoléon Bonaparte ?

L’absence de sondages d’opinion à l’époque rend difficile un bilan précis de la campagne victorieuse de Louis-Napoléon Bonaparte, et de l’importance du poids de son nom. S’il l’emporte à près de 75% des voix, c’est probablement dû à un certain nombre de facteurs : son nom certainement, l’habileté de sa campagne différenciée, ses appuis, ou la façon de voter de l’époque (favorisant les fraudes, et ce même si les historiens s’accordent pour dire que le résultat reflète globalement l’opinion).

Cela ne l’empêche pas d’avoir rapidement quelques problèmes, dont certains sont liés à sa stratégie de campagne. Ainsi, les tensions avec le Parti de l’ordre. Il ne faut pas non plus surestimer le poids du vote des ouvriers en sa faveur, puisque Louis-Napoléon Bonaparte tente par la suite de s’attirer toujours un peu plus leur adhésion. Jérôme Grondeux conclut « qu’il [fallait] une situation extraordinaire pour être élu avec un programme aussi éclectique, sur une idée de rassemblement national ». Mais que la véritable force de Bonaparte a été sa maîtrise avant l’heure de la communication politique, et sa capacité « à transformer une faiblesse en force. Insituable, Louis-Napoléon Bonaparte a réussi à convaincre une majorité ».

A lire

- E. Anceau, Napoléon III, Tallandier, 2008.

Le site de Jérôme Grondeux.

Le site des Cafés histoire de l'association Thucydide.

.