Fort_sumter_1861Une fois que le Stars and Bars – le premier drapeau de la nouvelle nation sudiste, qui en connut officiellement trois durant sa brève existence – eût été hissé au sommet, tronqué par un obus, du mât du fort Sumter le 13 avril 1861, le premier défi auquel furent confrontés les deux belligérants de la guerre de Sécession fut de se doter chacun d’une armée en mesure de faire la guerre. Dans ce domaine, le Nord partait de peu de chose et le Sud, de rien du tout.

Le système militaire américain en 1860

De par les idéaux d’autodéfense qui faisaient partie intégrante de la doctrine des « pères fondateurs » des Etats-Unis, le pays n’avait à l’origine pas vocation à disposer d’une armée régulière importante. La méfiance envers une armée de métier – vue par certains comme une sorte de garde prétorienne, potentiellement dangereuse pour les institutions du pays – était alors telle qu’il fut même question de la supprimer intégralement, en 1784. On consentit finalement à maintenir l’existence d’un unique régiment mixte, jusqu’à ce que de sévères défaites faces aux Amérindiens, puis la guerre de 1812 contre les Britanniques, n’imposent la formation d’autres unités. Quant à la marine, elle n’échappa pas à la dissolution pure et simple au lendemain de l’indépendance. Ce n’est qu’en 1794 que le Congrès prit conscience de la vulnérabilité de son commerce maritime et ordonna la construction de six frégates dont une, l’USS Constitution, existait toujours en 2009.

Sur le plan institutionnel, le commandant en chef des forces armées est le président. L’armée (United States Army) et la marine (United States Navy) ont chacune leur propre ministère de tutelle, respectivement le département de la Guerre (Department of War) et le département de la Marine (Department of the Navy). Les gardes-côtes, aujourd’hui militarisés, constituent alors une administration civile, le Revenue Cutter Service, dont la principale mission est de collecter les droits de douane et de lutter contre la contrebande. De ce fait, ils dépendent du département du Trésor – l’équivalent du ministère des Finances – et allaient jouer un rôle non négligeable dans la mise en place du blocus des côtes sudistes.

En temps de guerre, l’armée régulière peut compter sur le soutien des milices. Chaque État dispose en effet de sa propre force armée, dont l’appellation (généralement State Militia ou State Guard) varie de l’un à l’autre, et dont l’organisation est toujours plus ou moins calquée sur celle de l’armée fédérale. Armées aux frais de chaque État, les milices en dépendent directement et n’ont, en temps normal, pas de comptes à rendre au gouvernement fédéral. Elles sont seulement mises à disposition de ce dernier, en partie ou en totalité, en cas de conflit. Comme elles sont constituées intégralement de « soldats du dimanche » et de réservistes, leur niveau d’entraînement est plutôt bas et leur qualité militaire intrinsèque assez aléatoire. En revanche, elles présentent l’avantage de pouvoir être assemblées très rapidement, et comme leurs unités sont formées sur des bases géographiques (chaque ville ou comté a sa propre compagnie), l’esprit de corps y est souvent prépondérant.

Les milices constituent un symbole important pour la souveraineté de chaque État fédéré, puisque le recours à la force armée est un droit régalien. Elles sont, de surcroît, indissociables du deuxième amendement à la Constitution fédérale, qui garantit aux citoyens le droit de s’armer pour se défendre, et plus généralement des principes du « droit des États ». De ce fait, plusieurs États du Sud ont, durant les années qui ont précédé la sécession, fourni un gros effort d’armement pour leurs milices respectives ; ce fut le cas, notamment, de la Caroline du Sud – conséquence directe de l’épreuve de force qui avait accompagné la crise de nullification de 1832-33 – mais également de la Virginie. Signalons au passage que les miliciens sont généralement animés d’un fort esprit de clocher : engagés essentiellement pour défendre leurs propriétés, ils sont souvent réticents à aller se battre en dehors de leur État, voire de leur comté. C’est la raison pour laquelle les États recrutent, en cas de guerre, des unités de volontaires. Celles-ci n’ont vocation à exister que pour une durée limitée (dans le pire des cas, celle du conflit) et sont dissoutes une fois la paix revenue. Dans l’intervalle, elles sont mises à la disposition de l’armée fédérale. 

On le voit, ce système militaire a surtout une vocation défensive. Celle-ci découle des origines mêmes de la nation : nés pour résister à l’oppression d’un impérialisme, les Etats-Unis ont pendant près d’un demi-siècle suivi une vision stratégique où ils ne pouvaient être que les agressés et non les agresseurs – envahir un pays étranger aurait été pour beaucoup d’Américains se comporter comme l’avait fait avec eux le roi d’Angleterre Georges III durant la guerre d’Indépendance. Ceci explique notamment les fortes résistances que rencontra dans l’opinion publique la guerre contre le Mexique de 1846-48.
 

En 1860, la situation militaire des Etats-Unis est ainsi quelque peu paradoxale. D'un côté, la nation a atteint un degré de militarisation non négligeable, avec l'existence des milices d'États, d'arsenaux (fédéraux ou non) abondamment pourvus, et l'idéal du "citoyen-soldat" hérité de la guerre d'Indépendance. Mais de l'autre, le pays n'entretient que de minuscules forces armées professionnelles, ce qui en fait un véritable nain militaire en comparaison de la plupart des autres pays. En somme, un pays militairement faible, mais capable de monter en puissance très vite si le besoin s'en fait sentir - ce qui allait globalement caractériser l'armée américaine de sa naissance jusqu'à la Seconde guerre mondiale.

L'armée fédérale des Etats-Unis

regularsacw150À la fin de 1860, l’armée des Etats-Unis demeure une force intégralement professionnelle, mais minuscule en comparaison des nations européennes et même du Royaume-Uni, qui ne pratique pourtant pas non plus la conscription. Ainsi, l’effectif théorique est d’environ 13.000 hommes, mais une loi permet au pouvoir exécutif d’augmenter légèrement l’effectif de certaines unités s’il le juge nécessaire, et le nombre réel de soldats est plus proche de 16.000. C’est très peu pour un pays de 31 millions d’habitants et 8 millions de kilomètres carrés, et ce malgré l’expansion autorisée par l’administration Pierce (1853 – 1857), sous l’impulsion de son secrétaire à la Guerre, le futur président confédéré Jefferson Davis.

D’un point de vue administratif, l’unité de base est le régiment. L’armée en compte 19 : dix d’infanterie, cinq de cavalerie et quatre d’artillerie. Par rapport aux armées européennes, ces régiments – du moins en ce qui concerne l’infanterie – sont d’ailleurs plutôt l’équivalent de bataillons, de par leur effectif. À cela, s’ajoutent le corps du génie (cartographes inclus) et divers services auxiliaires ou administratifs : armement, santé, soldes, subsistances, ravitaillement, inspection, justice et administration. Au total, ces éléments n’emploient pas plus de 1.000 hommes.

Les divers régiments sont presque tous organisés sur le même mode. L’unité tactique de base est la compagnie, et chaque régiment en compte dix – sauf les régiments d’artillerie, qui en comportent douze. La compagnie est commandée par un capitaine, assisté de deux lieutenants (le premier lieutenant et le second lieutenant, une distinction qui a survécu jusqu’à nos jours dans l’U.S. Army, même si elle n’a plus le même sens). L’état-major du régiment est pour sa part constitué, outre le personnel administratif et les éléments de soutien, d’un colonel (qui commande le régiment), d’un lieutenant-colonel et de deux majors. L’échelon « bataillon » n’a pas d’existence fixe : le terme est seulement employé pour désigner un regroupement ad hoc de plusieurs compagnies, constitué temporairement si le besoin s’en fait sentir. Les bataillons ainsi formés peuvent être commandés par un des officiers supérieurs ou par le commandant de compagnie ayant le plus d’ancienneté à ce grade, à la discrétion du colonel.

L’armée fédérale des Etats-Unis est dispersée à travers tout le pays mais concrètement, les trois-quarts de ses effectifs se trouvent à l’ouest du Mississippi. Elle y assure à la fois la sécurité des frontières (surtout celle avec le très instable Mexique), la souveraineté dans les territoires nouvellement acquis (Californie, Texas, Nouveau-Mexique et Oregon), et la protection des colons qui s’installent dans des territoires encore peu anthropisés, si ce n’est par des Amérindiens. Ces derniers étant relativement peu nombreux, divisés, et leur attitude étant variable, leur contrôle ne nécessite pas d’effectifs très importants. Dans l’Est, le rôle de l’armée consiste surtout à garder les installations militaires, essentiellement les forts et les arsenaux, disséminés dans la partie la plus peuplée du pays. Ce rôle de présence et de garnison est surtout l’apanage de l’infanterie.

Pour sa part, la cavalerie est surtout employée dans la lutte contre les Indiens, de par la mobilité accrue que nécessitent les vastes espaces sans infrastructures du « Far West », et un ennemi lui-même assez mobile. De fait, le vocable de « cavalerie » désigne en réalité trois types d’unités différentes, basées – initialement – sur l’équipement et la façon de combattre. On compte ainsi deux régiments de dragons, soldats polyvalents censés pouvoir combattre aussi bien à pied qu’à cheval et armés de carabines ; deux régiments de cavalerie, équipés seulement de sabres et de pistolets pour le combat à cheval ; et un régiment d’infanterie montée, qui comme son nom l’indique, se déplace à cheval mais combat à pied. Avec le temps, ces unités durent cependant être adaptées aux engagements auxquels elles participaient et concrètement, en 1860, elles utilisent essentiellement le même équipement et les mêmes tactiques, qui se rapprochent en fait de ceux des dragons. Ces variations de désignation seront abolies en août 1861 et les deux régiments de dragons, le régiment d’infanterie montée et les deux régiments de cavalerie seront tous rebaptisés « régiments de cavalerie » et renumérotés respectivement de 1 à 5. Il est à noter que dans la cavalerie, les compagnies sont parfois appelées troop au lieu de company.

Tant à cause de la nature défensive de l’armée des Etats-Unis que du terrain accidenté, peu favorable au déplacement de canons de campagne, que l’on rencontre dans l’Ouest, la mission de l’artillerie consiste surtout à fournir des servants aux canons des forts. De ce fait, chaque régiment est constitué de douze compagnies (parfois appelées « batteries »), soit onze lourdes (artillerie de forteresse) et une légère (artillerie de campagne). Toutefois, le 1er et le 2ème régiment d’artillerie ont deux batteries légères au lieu d’une seule. Le corps du génie, à l’effectif très réduit – moins de 200 hommes – est quant à lui surtout chargé de concevoir les forts, frontaliers et côtiers, et de superviser leur construction. La nécessité de protéger les ports, disséminés sur une façade maritime immense, a en effet conduit à la réalisation d’un imposant système de fortifications côtières. À noter que la batterie d’artillerie a une organisation qui lui est propre : constituée de trois sections de deux canons chacune, elle compte donc trois lieutenants au lieu de deux.

Il n’existe pas, en temps normal, d’échelon opérationnel supérieur à celui du régiment. Ceux-ci sont eux-mêmes éclatés et dispersés : les 198 compagnies que compte l’armée se répartissent sur plus de 70 postes et installations, sans compter les détachements plus petits. Cette dispersion est compensée par une organisation géographique : le pays est ainsi divisé en départements militaires (parmi les principaux : Nord, Sud, Centre, Ouest, Texas, Missouri, Pacifique), eux-mêmes subdivisés en districts. Durant la guerre de Sécession, cette organisation variera beaucoup, et départements et districts militaires seront créés ou supprimés en fonction des besoins ; il sera également formé des régions militaires (appelées military divisions) , rassemblant plusieurs départements.

us_terr_1860150

Le territoire des Etats-Unis au début de 1860. En orange : les États admis dans l'Union ; en bleu, les territoires ; en vert, les régions non organisées, administrées directement par le gouvernement fédéral. L'essentiel des forces armées est concentré dans la moitié occidentale du pays.

On le voit, l'armée des Etats-Unis est, en 1860, faible et dispersée. Sa présence dans l'Ouest étant déjà indispensable, on comprend mieux comment la sécession des États du Sud a pu se produire, et les sécessionnistes s'emparer de la quasi-totalité des installations militaires fédérales dans le Sud, pratiquement sans rencontrer de résistance. Même si le nombre reste un facteur prépondérant - Napoléon Bonaparte ne disait-il pas "Dieu est toujours du côté des plus gros bataillons" ? - la composition de l'armée et la qualité du personnel ont aussi leur importance.

Les hommes : soldats et officiers

Militaires professionnels, les quelques 2.500 sous-officiers et 12.500 hommes du rang de l’armée fédérale sont, en règle générale, plutôt bien entraînés. En fonction de leurs affectations, ils sont même plutôt aguerris, même si les combats auxquels ils participent contre les Amérindiens ne sont le plus souvent que de petites escarmouches en comparaison des hécatombes de la guerre civile à venir. Le sous-effectif chronique de l’armée s’explique en partie parce que, pour les hommes de troupe, la carrière militaire est peu attirante. Les conditions de vie dans les postes et les fortins de l’armée sont souvent précaires, en particulier sur le plan sanitaire, et les maladies – notamment le typhus propagé par les poux, le choléra, ou le scorbut causé par une malnutrition fréquente – tuent bien plus fréquemment que les balles ou les flèches des Indiens. Les engagés sont donc très fréquemment des immigrants de fraîche date, entrés dans l’armée pour démontrer leur dévouement envers leur nouvelle patrie ou, plus prosaïquement, pour avoir le gîte et le couvert et échapper à la misère des quartiers pauvres des grandes villes. Malgré les difficultés de la vie de soldat, et le peu d’estime dont font preuve leurs concitoyens à leur égard (les soldats sont souvent vus comme le rebut de la société, des hommes trop fainéants pour travailler normalement), ils feront cependant preuve d’une loyauté sans faille envers le gouvernement fédéral : lors du déclenchement de la guerre, seuls 26 sous-officiers et hommes du rang démissionneront pour rejoindre les forces confédérées.

lee1859Les cadres sont nombreux puisqu’on compte un peu plus d’un millier d’officiers. Étant de taille réduite, l’armée fédérale peut se permettre des critères de sélection relativement drastiques et de ce fait, le niveau d’encadrement et de formation est plutôt élevé. La grande majorité des officiers – 824 sur 1.085 – est issue de l’académie militaire nationale de West Point, dans l’État de New York. Le reste provient d’écoles militaires privées, situées en majorité dans le Sud et dont certaines sont assez cotées, comme par exemple l’Institut militaire de Virginie à Lexington, ou le Collège militaire de Caroline du Sud – plus communément appelé « la Citadelle » – à Charleston.

Si les officiers sont relativement nombreux, leurs perspectives d’avancement sont en revanche plutôt réduites. D’une part, les débouchés sont rares : on compte une centaine d’officiers supérieurs seulement et concrètement, la plupart des officiers ne dépasseront jamais le grade de capitaine. D’autre part, l’institution militaire états-unienne est alors une bureaucratie très lourde, régie par des règles d’avancement et de promotion très strictes. Un officier ne peut être promu que si une place se libère au grade supérieur ; dans ce cas de figure, son remplaçant est désigné à l’ancienneté : les officiers plus jeunes, même plus brillants, doivent attendre leur tour. Ce système conduit parfois à changer d’arme : ainsi, le futur général sudiste Robert Lee dut quitter le corps du génie, dans lequel il avait servi pendant 25 ans, mais où il végétait au grade de capitaine, pour poursuivre sa carrière dans la cavalerie.

general_winfield_scottLe système est encore plus figé par l’absence de limite d’âge : les officiers peuvent rester en place aussi longtemps qu’il leur sied. Un petit exemple avec les généraux. Ceux-ci sont au nombre de quatre : un major-général, qui assure le commandement de l’armée, et trois brigadiers-généraux. Le commandant en chef est toujours Winfield Scott, qui occupe ce poste depuis 1841 et est alors âgé de 74 ans. Les autres généraux sont dans une situation similaire : John Wool, 76 ans, a été promu la même année que Scott ; David Twiggs, général depuis 1846, a quant à lui 70 ans et William Harney, 60 – mais il vient à peine d’être promu, en 1858.

Ainsi contraints d’attendre des années une promotion qui ne dépendra de toute manière pas de leurs qualités de chef, beaucoup d’officiers perdent patience et retournent à la vie civile, à la recherche d’autres moyens d’assurer leur carrière. Environ la moitié des diplômés de West Point finissent ainsi par démissionner au bout de quelques années, utilisant leur formation d’officier, très estimée, comme tremplin. Conscient de ces problèmes, le gouvernement a depuis longtemps mis en place un système d’avancement « fictif », la promotion par brevet. Celle-ci est attribuée au mérite, ce qui permet de contrebalancer le poids prépondérant de l’ancienneté. Le principe est le suivant : un officier (un capitaine, par exemple) qui se signale par ses qualités lors de son service reçoit une de ces promotions : outre la distinction qu’il en retire (l’armée américaine ne distribue alors aucune décoration, si ce n’est, parfois, quelques « armes d’honneur » le plus souvent réservées aux généraux), il devient « major par brevet ». Cela signifie qu’il reste capitaine (il continue d’en porter les insignes et d’en percevoir la solde), mais dès qu’une place de major deviendra disponible, il aura priorité sur tous les autres capitaines pour l’obtenir. S’il se voit octroyer ultérieurement un brevet de lieutenant-colonel, il pourra le cas échéant être promu à ce grade directement, toujours à condition qu’un poste soit libre – et qu’il n’y ait pas d’autre lieutenant-colonel par brevet avec une ancienneté à ce grade qui soit supérieure à la sienne.

Si au moment de la sécession la question de la loyauté de la troupe ne se posa même pas, il en alla tout autrement de celle des officiers. Plus impliqués dans la vie politique que leurs hommes, ceux-ci furent divisés autant que le pays et beaucoup d’entre eux démissionnèrent. Leurs motivations furent variées : adhésion sincère aux idéaux politiques du Sud, allégeance envers leur État d’origine plutôt qu’envers le gouvernement fédéral, refus de porter les armes contre leurs compatriotes, voire même attrait pour les perspectives de carrière offertes par la création de la nouvelle armée confédérée. L’exemple le plus connu est encore une fois celui de Lee, adversaire de la sécession, mais qui refusa le commandement d’une armée nordiste dès lors que cela l’aurait amené à combattre son État d’origine, la Virginie. Il démissionna donc, avant de prendre le commandement de la milice virginienne, puis de rejoindre l’armée sudiste lorsque la Virginie intégra la Confédération.

On lit souvent que le nombre d’officiers de carrière qui s’alignèrent du côté du Sud était proportionnellement plus élevé que la population de leurs États, expliquant ainsi la supériorité apparente du commandement confédéré lors des premières années de la guerre, mais c’est inexact. Sur 824 officiers issus de West Point, 296 quittèrent l’armée en 1861, et seulement 184 devinrent officiers dans les forces sudistes. De plus, seuls 99 des quelques 900 anciens officiers qui étaient retournés à la vie civile s’engagèrent dans l’armée confédérée, alors qu’environ 400 se mirent au service du gouvernement fédéral. Même si la proportion était plus importante parmi les officiers sortis des autres académies militaires du pays, ceux ayant choisi de servir le Sud restèrent nettement minoritaires.

Pendant la guerre, bon nombre de ces officiers allaient, dans les deux camps, devenir généraux et accéder à des commandements importants, à la tête desquels ils allaient s’affronter les uns les autres. Le fait qu’ils aient servi ensemble à West Point, une institution où l’esprit de corps est prépondérant, puis dans leurs différentes affectations successives – y compris, pour certains d’entre eux, durant la guerre contre le Mexique – met au jour la nature fratricide de la guerre de Sécession de manière évidente, à tel point que ce thème précis constituera par la suite une source d’inspiration intarissable pour les auteurs de fictions.

regularsreenactors

Ce groupe de reconstituteurs de l'association américaine Sykes' Regulars porte l'uniforme de l'armée régulière, tel qu'il était juste avant le déclenchement de la guerre de Sécession.

Compte tenu de la faiblesse de l’armée fédérale, peu nombreuse et dispersée à travers tout le pays, et de l’inadéquation de la milice à une telle tâche, il s’avéra immédiatement nécessaire, dès le début de la guerre de Sécession, de lever des unités de volontaires pour écraser la rébellion. En effet, accroître la taille de l’armée régulière n’était pas une option envisageable : la législation alors en vigueur soumettait toute création d’unité à un vote en bonne et due forme du Congrès, une nécessité incompatible avec l’urgence de la situation.

Des armées de volontaires

Michigan_infantryDe fait, de nouvelles unités régulières furent effectivement créées ; ordonné par une proclamation présidentielle du 3 mai 1861, ce recrutement ne fut confirmé que le 29 juillet par le Congrès ; le recrutement proprement dit eut lieu en août et septembre, et c’est seulement en octobre que l’entraînement débuta – alors que la guerre faisait rage depuis belle lurette. Aucun des onze régiments ainsi formés n’était organisé de la même manière que les régiments déjà existants : les neuf régiments d’infanterie (numérotés de 11 à 19) comprenaient 24 compagnies (réparties en trois bataillons de huit compagnies chacun) au lieu de 10 ; le 6ème régiment de cavalerie comptait 12 compagnies au lieu de 10 ; et si le 5ème régiment d’artillerie était constitué comme les autres de 12 batteries, elles étaient en revanche toutes armées de canons de campagne. Les unités de l’armée régulière servirent de manière extensive pendant le conflit, sur tous les théâtres d’opération. Les batteries d’artilleries furent dispersées dans les armées ou les forts. Les régiments de cavalerie servirent en tant que tels dans l’Ouest, ou virent leurs compagnies détachées pour servir d’escorte aux états-majors. Il en fut de même pour les régiments d’infanterie, dont certains furent éclatés pour protéger les convois de ravitaillement des armées de l’Union, et d’autres servirent en première ligne au milieu des régiments de volontaires.

Il était donc plus aisé pour le président Abraham Lincoln de créer de toutes pièces une armée « provisoire », prévue seulement pour la durée de la guerre, une prérogative que la constitution du pays lui accordait. Il constitua donc, aussitôt après l’annonce de la capitulation du fort Sumter, une force totalement distincte de l’armée régulière, les « volontaires des États-Unis ». En anglais, cette armée à part entière est généralement désignée U.S. Volunteers (en abrégé U.S.V.) pour la différencier de l’armée régulière ou U.S. Army (U.S.A.). Alors que cette dernière ne dépassera pas 25.000 hommes durant le conflit, la première atteindra le million de soldats, fournissant donc l’essentiel de l’effort militaire nordiste.

UnionOfficersInitialement, personne n’imaginait que de tels chiffres seraient atteints. L’idée dominante au printemps 1861, au Nord comme au Sud, était qu’une seule bataille décisive suffirait à régler le conflit. De ce fait, la guerre n’était pas envisagée autrement que comme courte, et l’appel aux volontaires émis par le président Lincoln le 15 avril reflète parfaitement cette idée : 75.000 hommes, pour une durée de trois mois seulement. Les engagements dépassèrent d’ailleurs toutes les espérances : alors même que 7 des 24 États sollicités refusèrent d’envoyer des troupes – 4 d’entre eux allaient faire sécession – près de 95.000 volontaires répondirent à l’appel. Certains États, comme le Massachusetts ou le Rhode Island, fournirent plus du double de leur quota ; le district de Columbia, non concerné, vit se constituer une force de 4.000 hommes, et plus de 10.000 Missouriens unionistes formèrent leurs propres régiments, alors que leur gouverneur, partisan de la sécession, avait proclamé la neutralité de l’État.

Ces volontaires étaient initialement recrutés, armés et équipés aux frais de leur État d’origine, même si l’initiative privée permettait occasionnellement d’alléger la charge financière que cela représentait. Ils étaient donc, en théorie, subordonnés à l’autorité de leurs gouverneurs, qui ne faisaient que les mettre à la disposition du gouvernement fédéral ; d’où le fait que chacun portait une désignation propre à son État d’origine telle que 20th Maine Infantry ou 1st New York Heavy Artillery. Conformément à la tradition américaine alors en vigueur – une tradition qui découlait elle-même d’un idéal de démocratie directe – les officiers de ces régiments furent élus par leurs hommes. Le choix de ces derniers se porta souvent sur les notables de leur quartier ou de leur comté qui s’étaient enrôlés avec eux, indépendamment de leur aptitude à commander ou de leur expérience de la chose militaire. Si leur professionnalisme faisait défaut, en revanche, les hommes ne manquaient pas.

Mais pour nombreux qu’ils furent, ces premiers « volontaires de trois mois » s’avérèrent vite insuffisants pour résoudre le conflit. Dès le lendemain de la cuisante défaite de Bull Run, Lincoln et le Congrès comprirent que la guerre serait longue. Le 22 juillet 1861, ils autorisèrent l’appel de 500.000 nouveaux volontaires, cette fois pour une durée de trois ans. Deux ans plus tard, lorsque le volontariat ne suffit plus à combler les pertes énormes causées par les combats et les épidémies, le gouvernement fédéral dut recourir à la conscription, une décision si impopulaire – car considérée par beaucoup comme une atteinte aux libertés individuelles – qu’elle provoqua à New York de sanglantes émeutes. Il y eut en tout quatre mobilisations partielles – effectuées par tirage au sort – en juillet 1863, et en mars, juillet et décembre 1864.

Sans surprise, on retrouve un schéma similaire de l’autre côté de la ligne de front. Aussitôt après leur naissance, les États Confédérés d’Amérique créèrent non pas une, mais deux armées. La première était une force régulière baptisée Army of the Confederate States of America (en abrégé A.C.S.A., parfois simplement C.S.A. pour Confederate States Army). Sur le papier, elle devait compter 15.000 hommes mais dans les faits, elle n’atteindra jamais ce chiffre. Peu connue faute de sources, l’activité de cette armée régulière sudiste se limitera semble-t-il à fournir des escortes de cavalerie aux états-majors, quelques batteries d’artillerie de campagne, et une garde d’honneur aux institutions confédérées. Sa contribution à l’effort de guerre sudiste sera en tout cas nettement moindre que celle de sa contrepartie nordiste.

prisonnierssudistes1863Pour les mêmes raisons que le gouvernement de l’Union, les dirigeants confédérés savaient fort bien que leur future armée régulière ne permettrait pas de répondre aux besoins posés par la guerre civile. Ils constituèrent donc eux aussi une force de volontaires et ce, avant même la création de leur armée régulière. Baptisée Provisional Army of the Confederate States (P.A.C.S.), cette « armée provisoire de la Confédération » allait soutenir l’essentiel des combats à venir. Recrutés de la même manière que dans le Nord – c’est-à-dire par État – les 100.000 volontaires appelés dès le 6 mars 1861 allaient initialement être renforcés par la milice de chaque État. Néanmoins, la Confédération allait très vite être victime d’un de ses propres fondements idéologiques : le droit des États. Jaloux de leurs prérogatives, les gouverneurs de certains États firent obstacle autant qu’ils purent à l’utilisation de leur milice ou de leurs volontaires par le gouvernement confédéré. Celui de Géorgie, Joseph Brown, alla même jusqu’à interdire, en vain, aux troupes de son État d’en quitter le territoire : elles n’avaient été, selon lui, levées que pour défendre la Géorgie. La prise de contrôle des forces armées des États par le gouvernement central passait aux yeux de beaucoup pour une ingérence dans leur souveraineté. Ces réticences accrurent les difficultés qu’éprouva le gouvernement sudiste pour coordonner la défense de ses frontières.

Compte tenu de la démographie étriquée du Sud, le volontariat allait s’avérer insuffisant encore plus vite que dans le Nord. En février 1862, le Congrès confédéré accepta de lever 400.000 volontaires supplémentaires mais, dès avril suivant, il apparut que la conscription était la seule issue au problème. Aussi mal perçue que dans le Nord, elle concernait initialement les hommes de 18 à 35 ans. Dès septembre, l’âge maximal fut porté à 45 ans, et en décembre 1863, il ne fut plus possible d’échapper au service militaire en payant un remplaçant, comme c’était le cas jusque-là. En février 1864, la conscription fut étendue aux hommes de 17 à 50 ans. Bien entendu, ces mesures ne concernaient que les hommes blancs. C’est seulement en dernier recours que la Confédération se résolut à accepter les Noirs dans l’armée : une loi du 13 mars 1865 autorisa à en lever 300.000, mais à quelques semaines de la défaite, elle resta quasiment lettre morte. Malgré cela, à aucun moment l’effectif de l’armée sudiste n’excéda 500.000 hommes, et hormis en de rares cas, elle se battit toujours en sévère infériorité numérique.

Si lever une armée est une chose, l’organiser pour en faire une force capable de se battre efficacement en est une autre, et les belligérants de la guerre de Sécession allaient très vite l’apprendre à leurs dépens. Comme on l’a vu, il n’existe pas, en temps de paix, d’échelon supérieur à celui du régiment. Toutefois, les régiments de volontaires ne comprenant pas plus de 800 à 1.000 hommes, des armées de plusieurs dizaines de milliers de combattants n’allaient pas pouvoir être organisées sans l’établissement d’une structure hiérarchique comprenant plusieurs échelons.

L'organisation des armées

 
flag69irishbrigade3Le premier de ces échelons est la brigade. En principe, la brigade comprend trois ou quatre régiments, mais dans la pratique, il arrive qu’il y en ait davantage, surtout si l’effectif des régiments concernés est réduit. Elle est normalement commandée par un brigadier-général, mais il arrive fréquemment que ce rôle échoit au colonel – c’est-à-dire au commandant de régiment – avec le plus d’ancienneté à ce grade. Dans l’armée sudiste, les brigades sont assez souvent formées par des régiments originaires d’un même État. A contrario, les brigades nordistes sont davantage mixtes du point de vue de l’origine géographique. Dans les deux cas, il ne s’agit pas de règles absolues. L’affectation des régiments aux brigades ne suivant pas un plan préétabli, elle n’est pas fixe, et une brigade peut se voir renforcée ou affaiblie en fonction des besoins.

Sur le champ de bataille, la brigade constitue l’unité tactique de base dans tous les engagements importants. Les meilleures d’entre elles développent un esprit de corps important et finissent par constituer des unités d’élites, telles que la Stonewall Brigade ou les Louisiana Tigers sudistes, ou bien l’Iron Brigade et l’Irish Brigade nordistes. Au sein des forces confédérées, elles ne sont généralement pas numérotées, mais plutôt désignées par le nom de leur commandant ; si ce dernier est un leader emblématique, elles peuvent en garder le nom même après qu’il ait été remplacé. Les brigades nordistes sont quant à elles numérotées, le plus souvent au sein d’une même division (chaque division a ainsi une « première brigade », une « deuxième », etc.), plus rarement au sein d’une même armée (comme ce fut le cas dans l’armée du Tennessee au début de l’année 1862). Dans tous les cas de figure, dans la pratique, les généraux se référaient à elles par le nom de celui qui les commandait. Enfin, certaines brigades sont simplement désignées par le surnom dont elles ont hérité au cours de leur service.

IIcorpsbadgeL’échelon suivant est la division. Contrairement à la brigade qui est constituée exclusivement – sauf cas rares – d’infanterie ou de cavalerie, la division est le premier échelon interarmes : chacune d’entre elles se voit généralement affecter un bataillon d’artillerie, à raison d’une batterie par brigade – sachant qu’une division comprend généralement trois ou quatre brigades, rarement plus. Les divisions sont désignées de la même manière que les brigades, au Nord comme au Sud. Au début de la guerre, elles constituent les subdivisions les plus importantes au sein d’une armée mais rapidement, il faudra créer un échelon encore supérieur.

Il s’agit du corps d’armée. Jusque-là inédits au sein de l’armée américaine – la plus haute subdivision d’armée employée lors des conflits précédents était la division – les corps d’armée furent créés en mars 1862 par le général McClellan. D’abord limités à la principale armée nordiste, celle du Potomac, ils seront ensuite étendus dans toutes les forces de l’Union. Contrairement aux divisions et aux brigades, les corps nordistes sont numérotés suivant une seule série, quelle que soit leur affectation, et ils sont créés par décret présidentiel. En tout, il y en eut vingt-cinq. Dans l’armée du Potomac, où il y eut jusqu’à six corps d’armée, un échelon intermédiaire exista brièvement en 1862 : la « grande division », qui regroupait deux corps.

Les Confédérés constituèrent eux aussi des corps d’armée, mais en moins grand nombre – leurs armées étaient souvent plus réduites – et de façon moins formelle. Ils apparurent en juin 1862 lorsque Robert Lee réorganisa l’armée de Virginie septentrionale en deux « ailes », rebaptisées formellement « corps » en septembre. Contrairement à leurs homologues nordistes, les corps sudistes étaient numérotés au sein d’une même armée, souvent désignés par le nom de leur commandant, et ne furent employés que dans les principales armées confédérées. Un corps d’armée nordiste comprend au mieux trois ou quatre divisions, un corps sudiste souvent davantage.

Viennent ensuite les armées. Ces dernières étant des créations ad hoc, leur importance varie beaucoup en fonction de la mission à laquelle elles sont destinées, allant de la simple brigade à une force comprenant plusieurs corps. Elles sont généralement nommées d’après la zone géographique où elles vont opérer, et leur nom est le plus souvent fixe dans la mesure où leur création procède d’un décret du pouvoir exécutif – ce dans les deux camps. C’est au niveau de l’armée que sont gérées les affaires relevant de l’intendance, de l’administration, de la police militaire ou des divers services auxiliaires.

Il y eut toutefois, au cours de la guerre de Sécession, quelques tentatives pour coordonner entre elles l’action de plusieurs armées sur un même théâtre d’opération. Ce fut notamment le cas pour les troupes fédérales de l’Ouest – comprendre « entre les Appalaches et le Mississippi ». Initialement groupées en trois armées distinctes, à savoir celles du Tennessee, du Cumberland et de l’Ohio, elles allaient toutefois être subordonnées à un échelon supérieur, la division militaire du Mississippi. Commandée par Halleck, puis Grant, et enfin Sherman, elle allait contrôler jusqu’à cinq armées simultanément, jouant un rôle prépondérant dans la victoire finale. Rien de tel n’exista au sein des forces armées confédérées, l’idéologie décentralisée qui avait présidé à la naissance de la Confédération s’avérant un obstacle à ce type de coordination centralisée – une absence dont la stratégie sudiste souffrit terriblement. La seule opération multiple d’envergure, décidée par le président Davis en personne, sera la triple offensive de R.E. Lee dans le Maryland, E.K. Smith dans le Kentucky, et Van Dorn dans le Mississippi, à la fin de l’été et au début de l’automne 1862. Toutefois, ces offensives ne seront pas réellement coordonnées, mais seulement simultanées.

23ncflagLa même dichotomie se retrouve au niveau du commandement suprême. L’armée fédérale comporte un commandant en chef (ou plutôt un « général commandant », le titre formel de commandant en chef revenant au président), qui a pour mission d’élaborer la stratégie globale et d’assister le président dans sa mise en œuvre. Il s’agit initialement de Winfield Scott ; le vieux général s’avérant très vite trop âgé pour remplir son devoir, il est remplacé en novembre 1861 par George McClellan. Toutefois, celui-ci est écarté dès mars 1862 afin de l’obliger à se concentrer sur l’offensive de l’armée du Potomac contre Richmond ; il est relayé par une commission temporaire (War Board) présidée directement par Abraham Lincoln et le secrétaire à la Guerre, Edwin Stanton. L’armée de l’Union retrouvera un « général commandant » avec Henry Halleck, nommé en juillet 1862 et remplacé en mars 1864 par Ulysses Grant. Côté sudiste, seul le président Jefferson Davis peut exercer semblable autorité, et celle-ci lui est bien sûr régulièrement contestée par ses opposants politiques. Robert Lee sera formellement nommé commandant en chef, mais seulement en mars 1865, bien trop tard pour que cela serve à quoi que ce soit. 

Les organisations précédemment décrites sont surtout valables pour l’arme qui constitue la majeure partie – plus ou moins 80% selon la période et le camp considéré – des armées de la guerre de Sécession, à savoir l’infanterie. La cavalerie, quant à elle, a été employée quelque peu différemment. Au début du conflit, les généraux nordistes ne lui envisagent pas d’autre utilité que mener des actions de reconnaissance ou d’escorte. De ce fait, les unités de cavalerie nordistes sont initialement dispersées à travers toute l’armée, chaque échelon – brigade, division ou corps d’armée – se voyant affecter un régiment ou quelques compagnies de cavalerie en fonction des besoins. Les Sudistes, pour leur part, n’en firent rien : constatant dès l’hiver 1861-62 l’efficacité d’une force exclusivement composée de cavalerie pour mener des raids contre les lignes de communication et de ravitaillement de l’ennemi, ils organisèrent brigades, divisions et même corps de cavalerie, sur le même modèle que l’infanterie. Il faudra attendre le printemps 1863 pour que leurs adversaires se décident à les imiter, avec la création du corps de cavalerie de l’armée du Potomac.

L’organisation de l’artillerie de campagne variera également beaucoup. Vers la fin de la guerre, les Nordistes abandonneront le système précédent (un bataillon d’artillerie par division) et grouperont tous les bataillons d’artillerie d’un même corps au sein d’une brigade d’artillerie, permettant au commandant du corps d’armée de concentrer son artillerie à son gré au cours de l’engagement. Il sera également constitué des brigades d’artillerie de réserve, utilisées à la discrétion du commandant d’armée afin, le cas échéant, de fournir un soutien décisif. Manquant chroniquement de canons, et plus encore de munitions, l’artillerie sudiste n’atteindra jamais ce niveau, et restera plus proche de l’ancien système. En plus des bataillons divisionnaires, quelques bataillons d’artillerie de réserve seront affectés aux échelons supérieurs, corps d’armée et armée.

Penchons-nous à présent sur la composition de ces armées, et leur évolution. Qui étaient les hommes qui disputèrent la guerre de Sécession ? Tous n’eurent pas la même motivation, la même origine, le même destin ; pas plus que la qualité des armées belligérantes ne resta homogène tout au long des quatre années que dura le conflit.

Composition et évolution des troupes 

American_Civil_War_ChaplainInitialement, on a vu que les volontaires de 1861 ne manquaient pas d’enthousiasme pour une guerre que tout le monde imaginait brève. Nombre d’entre eux se hâtèrent vers les bureaux de recrutement de leur quartier ou de leur comté, craignant que s’ils attendaient trop longtemps pour s’enrôler, la guerre serait terminée avant même qu’ils aient vu le moindre combat ou tiré un seul coup de feu. Cet afflux de volontaires n’alla pas sans générer quelques problèmes non négligeables, notamment en matière d’équipement.

Si les nombreux arsenaux fédéraux ou d’États allaient permettre d’armer cette foule d’aspirants soldats, ce ne fut pas sans difficultés. Durant les premiers mois de la guerre, les disparités sont particulièrement grandes d’une unité à l’autre, car toutes les armes disponibles ont été utilisées, et des fusils d’une grande variété de modèles et de calibres furent distribués. Naturellement, ces disparités compliquèrent grandement l’approvisionnement, puisque toutes les unités d’une même armée n’employaient pas forcément les mêmes munitions. Il en alla de même pour les uniformes, très disparates, chaque État fournissant les siens (souvent basés sur ceux de sa milice) à ses volontaires et sachant qu’il n’y avait pas d’obligations particulières à respecter dans ce domaine. Grâce à son potentiel industriel, le Nord parvint à standardiser graduellement l’équipement de ses armées au cours de l’année 1862.Oldarm.ww

Bien plus défavorisé en la matière, le Sud eut beaucoup plus de difficultés. Malgré les arsenaux, dès le début du conflit les fournitures d’armement devinrent un problème crucial. Nombre de volontaires durent initialement amener avec eux leurs armes personnelles, souvent de qualité militaire discutable, et en quelques occasions, des unités confédérées furent contraintes d’assister en spectatrices aux batailles dans lesquelles elles furent engagées, faute de fusils. Les mesures énergiques de Josiah Gorgas – qui, ironie du sort, était un Nordiste passé dans le camp adverse par fidélité envers son épouse sudiste – autorisèrent la mise en place d’une industrie d’armement embryonnaire, mais qui permit de parer au plus pressé. La capture massive d’armes nordistes à l’occasion des victoires défensives du début de la guerre, et l’importation de fusils britanniques via les « forceurs de blocus », firent le reste, et la Confédération ne manqua pratiquement jamais d’armes pour se battre.

En revanche, il n’en fut rien en matière d’uniformes. Avec le coton des plantations sudistes, la matière première ne manquait pas, mais les filatures étaient peu nombreuses dans le Sud. Il y avait des uniformes réglementaires, mais ils étaient produits au compte-goutte, avec priorité aux officiers et aux soldats de l’armée régulière confédérée. Tant et si bien que, le plus souvent, le soldat sudiste dut se contenter d’un uniforme « fait à la maison », d’allure vaguement militaire, et usé jusqu’à la corde.

La composition sociale des armées est essentiellement le reflet de celle de la population des deux belligérants. Les soldats sudistes sont majoritairement des ruraux, le plus souvent de condition modeste. Les citadins, moins nombreux, viennent souvent des villes portuaires ; très peu sont des ouvriers, les centres industriels étant rares. Les milieux sociaux sont différents dans le Nord, où se côtoient fermiers du Midwest autant qu’ouvriers et employés des grandes villes de la côte Est.

Civil_War_steeplechase2Les origines nationales varient également suivant le camp dans lequel on se place. Dans l’armée de l’Union, 1,7 million de soldats – sur les 2,2 millions qui servirent, au total, dans les forces nordistes – sont nés aux Etats-Unis. Mais nombre d’entre eux sont des fils d’immigrants, d’origines très diverses : 1.000.000 environ sont d’ascendance « britannique ». Les Allemands furent très nombreux : 216.000, auxquels s’ajoutent 300.000 Américains d’origine allemande. Viennent ensuite les Irlandais – 200.000, nés en Irlande pour la plupart – puis les sujets britanniques (100.000, nés pour moitié environ au Canada, et l’autre en Grande-Bretagne) et les Néerlandais (90.000). 

Les francophones ne furent pas en reste avec 40.000 engagés, globalement une moitié de Québécois et une autre d’Américains d’origine française, plus une poignée de citoyens français proprement dit. À cela s’ajoutent 20.000 Scandinaves et quelques milliers d’Italiens, de Polonais, de Mexicains (principalement au Nouveau-Mexique) et d’Amérindiens (essentiellement dans le « territoire indien », l’est de l’actuel Oklahoma) – sans compter, naturellement, d’autres origines aux représentants moins nombreux. Certaines de ces « nationalités » constituèrent quelques régiments à part entière, mais dans la plupart des cas, elles furent dispersées dans toute l’armée.

800px-DutchGapbLes 210.000 Afro-Américains tiennent une place à part. Bien qu’il y eut des engagements individuels de la part des Noirs vivant dans le Nord dès le début de la guerre, beaucoup furent refusés. Les Noirs n’étaient en effet pas considérés comme des citoyens, fussent-ils libres, et leur présence au sein d’unités militaires était souvent mal perçue et mal tolérée. Même après septembre 1862 et la « proclamation d’émancipation » du président Lincoln, la lutte pour l’abolition de l’esclavage, devenue but de guerre principal de l’Union, ne signifiait en rien l’abandon des préjugés racistes de l’époque.

Ainsi, les Afro-Américains n’étaient pas considérés, par la plupart des officiers et généraux nordistes, comme pouvant devenir des soldats de valeur. Ceux qui furent acceptés dans l’armée jusqu’à la fin de 1862, souvent sous la seule impulsion de généraux notoirement abolitionnistes tels Benjamin Butler, furent cantonnés à des tâches subalternes, travaux de fortifications et services auxiliaires. La proclamation d’émancipation changea la donne, mais on choisit alors de rester dans un régime de ségrégation : les Noirs seraient acceptés librement dans l’armée, mais ils constitueraient leurs propres unités, encadrées – sauf cas rares – par des officiers blancs.

Initialement pris en charge par les États au même titre que les formations « blanches », les régiments de Noirs furent ensuite placés directement sous l’égide du gouvernement fédéral, qui constitua ainsi les United States Colored Troops (U.S.C.T.) à partir de 1863. La moitié d’entre eux étaient des Noirs libres vivant dans le Nord, l’autre moitié d’anciens esclaves, fugitifs ou libérés par l’avancée des troupes nordistes. Bien qu’affichant un comportement tout à fait dans la moyenne de l’armée au combat, ces régiments ne furent jamais pris au sérieux par le commandement nordiste, qui les employa essentiellement à des rôles secondaires, garnisons de fort et occupation des territoires conquis, où ils payèrent un lourd tribut aux maladies. Les chiffres en témoignent : plus de 70.000 soldats afro-américains périrent durant la guerre, mais moins de 3.000 d’entre eux furent tués au combat.

Globalement, les armées de l’Union perdirent durant la guerre de Sécession 640.000 hommes, aux quelques 110.000 tués et 280.000 blessés venant s’ajouter 250.000 morts de maladie. Les conditions sanitaires déplorables (favorisant typhus et dysenterie), les duretés de la vie en campagne, autant que le climat varié du Sud, allant des forêts marécageuses subtropicales infestées de moustiques (qui transmettent paludisme et fièvre jaune) aux pics enneigés des Appalaches, expliquent – autant que l’inefficacité de la médecine militaire d’alors, dont le visage moderne est alors seulement naissant – une telle disproportion. Ces pertes furent considérables, puisqu’elles touchèrent près d'un soldat nordiste sur quatre.

678px-EwellsDeadSpotsylvania1864crop01La situation fut encore pire dans le Sud, où l’on estime qu’au moins un combattant sur trois fut victime de la guerre : 260.000 morts, toutes causes confondues, et un nombre indéterminé de blessés, faute de statistiques suffisantes. On ignore ainsi combien d’hommes servirent dans les armées confédérées, et les estimations varient de 600.000 à 1.500.000. Quoi qu’il en fut, lorsqu’on additionne les pertes des deux camps, les pertes demeurent terribles, et la guerre de Sécession est de loin le conflit le plus meurtrier de l’histoire des Etats-Unis : en tout, 2% de la population du pays y trouva la mort.

Contrairement à sa contrepartie nordiste, passablement cosmopolite, l’armée confédérée a une composition ethnique nettement plus homogène. Les neuf dixièmes des soldats sudistes sont nés aux Etats-Unis, et la plupart d’entre eux sont d’ascendance britannique, en dehors des « cajuns » (les Louisianais d’origine française) et des Amérindiens. Quant à ceux nés à l’étranger, ils sont principalement irlandais ou anglais. Cette disparité, et en particulier la forte proportion de germanophones dans l’armée fédérale, permit à la propagande sudiste de comparer l’ennemi nordiste aux mercenaires allemands, de sinistre mémoire, que le roi d’Angleterre avait engagé pour combattre en Amérique pendant la guerre d’Indépendance, et qui étaient connus sous le vocable général de « Hessois ».

Black_Confed-1Il ne faut cependant pas négliger l’apport des Noirs aux armées sudistes. Certes, l’idéologie même de la Confédération, où l’immense majorité des Afro-Américains étaient des esclaves, rendait encore plus impensable leur utilisation au combat, et ce sentiment fut encore renforcé après la proclamation d’émancipation. Malgré tout, quelques Noirs libres s’engagèrent dans l’armée confédérée au début des hostilités, désireux de démontrer leur loyauté envers leur nouvelle nation. Comme au Nord, ils furent cantonnés à des activités subalternes, et écartés des rôles combattants. En revanche, esclaves et hommes libres furent abondamment réquisitionnés par l’armée, principalement pour aménager des fortifications et assurer le transport du ravitaillement, si bien que les forces confédérées finirent par se retrouver largement dépendantes de la main d’œuvre noire.

D’abord impossible à envisager, l’idée d’armer les Afro-Américains et de les envoyer se battre pour la Confédération finit par se faire jour vers la fin du conflit, à mesure que les pertes en tous genres éclaircirent les rangs d’une armée sudiste déjà largement dominée en nombre par son adversaire. Quelques généraux (notamment Cleburne et D.H. Hill) y risquèrent leur carrière, mais c’est seulement lorsque le plus prestigieux d’entre eux, Lee, se rallia à leur avis, qu’il fut décidé d’y recourir. Un ordre de mars 1865 autorisa les Noirs à former des unités combattantes, les esclaves s’y engageant (seulement avec le consentement de leur maître) se voyant promettre la liberté une fois la guerre terminée. Compte tenu de l’effondrement imminent de la Confédération, cet ordre ne permit pas de recruter plus de quelques dizaines de soldats, qui n’eurent même pas le temps de combattre.

Pour les uns comme pour les autres, les motivations pour se battre furent aussi variées que les origines ethniques. Il y eut, bien sûr, l’idéologie et le patriotisme : on s’engagea pour préserver l’Union ou pour anéantir l’esclavage (au Nord), pour défendre ses droits et un certain mode de vie (au Sud), plus généralement pour défendre son État et les siens (quelle que fût la menace réelle qui pesait sur eux), ou tout simplement pour « faire son devoir », « comme tout le monde ». Le patriotisme constituait tout particulièrement un puissant moteur parmi les immigrants de fraîche date, qui eurent à cœur de démontrer leur attachement envers leur pays d’adoption.

490px-Private_Samuel_K_WilsonMais il y eut aussi le goût de l’aventure, le désir de participer à ce qu’on imaginait comme une promenade militaire, une expérience hors du commun. Naturellement, lorsque le conflit s’éternisa et que les journaux des deux camps diffusèrent dans leur lectorat les froides et dures réalités de la guerre, ce type d’enthousiasme retomba rapidement. Il fallut recourir à d’autres moyens pour susciter les vocations, et l’on offrit bientôt des primes d’engagement pour les volontaires. À l’occasion, les recruteurs ne détestaient pas recourir à des moyens moins orthodoxes, et le « shangaiing » – terme anglais désignant le recrutement plus ou moins forcé par la tromperie, l’abus de confiance, voire l’intimidation ou la coercition – fut parfois pratiqué.

Ce fut malgré tout insuffisant pour compenser les énormes pertes, et il fallut in fine recourir à la conscription. Cette atteinte inédite à la liberté individuelle fut mal perçue par les conscrits des deux camps, mais au moins les Sudistes purent se dire, dès la fin de 1863, qu’ils étaient tous égaux devant la conscription, puisqu’à cette date il ne fut plus possible d’y échapper. Ce ne fut pas le cas au Nord : jusqu’à la fin de la guerre, celui qui ne voulait pas être enrôlé, même en ayant tiré un « mauvais numéro » (puisque la conscription se faisait par tirage au sort), pouvait à la place fournir un remplaçant – qu’il avait lui-même payé pour cela – ou bien s’acquitter de la somme de 300 dollars. Ce n’était pas négligeable : à titre de comparaison, la solde mensuelle d’un soldat de l’Union s’élevait à 16 dollars à la fin de la guerre.

De fait, tous ceux qui le purent payèrent, et la conscription nordiste fut globalement assez inefficace : sur 250.000 hommes tirés au sort, 15.000 seulement acceptèrent leur sort. Tous les autres payèrent, ou fournirent un remplaçant, si bien que l’on finit par trouver que la conscription était plus efficace pour lever des fonds que des soldats. De surcroît, cette inégalité devant le service militaire, les plus pauvres ne pouvant y échapper ou se voyant contraints de se vendre comme remplaçants pour échapper à la misère, rendit la conscription encore plus impopulaire.

Elle vit également, au même titre que les primes d’engagement, la naissance d’une pratique illégale dont certains firent une véritable profession. Ces « chasseurs de primes » s’engageaient, volontaires ou en tant que remplaçants, dans le seul but de toucher l’argent qui allait avec, avant de déserter dès que possible… pour mieux recommencer ensuite, ailleurs et sous un autre nom.

Mais le problème des désertions fut loin de se limiter à ces quelques individus. Au contraire, ce fut une véritable plaie pour les deux armées, puisqu’on évalue que le Nord comme le Sud perdirent chacun un dixième de leur effectif militaire global de cette manière – soit au moins 200.000 déserteurs pour l’Union, et 100.000 pour la Confédération. Seule une minorité de ces déserteurs était repris, et la plupart de ceux qui l’étaient se voyaient simplement renvoyés dans leurs unités, le plus souvent.

180px-Eli_Lilly_Battery_American_Civil_War_recruitment_posterLa grande variété de facteurs à l’œuvre dans le recrutement et la composition des armées implique que la qualité de celle-ci a beaucoup varié pendant la durée du conflit. Un des problèmes récurrents rencontré par les deux belligérants dans ce domaine fut l’absence d’amalgame entre les vétérans et les nouvelles recrues. En effet, lorsque des volontaires s’engageaient ou que des conscrits étaient levés, on ne les utilisait pas pour renforcer les régiments existants, mais pour en créer de nouveaux. 

Les « bleus » ne bénéficiaient donc que rarement de l’expérience de leurs aînés, et ils subirent souvent, de ce fait, des pertes sensibles lors de leurs premiers mois de service. De surcroît, l’effectif de certains régiments tendait à devenir squelettique, et certains n’avaient guère plus d’hommes dans leurs rangs qu’une simple compagnie – à tel point qu’il fallut  fréquemment en fusionner plusieurs entre eux.

Les volontaires qui s’engagent au début de la guerre ne manquant pas d’enthousiasme, leur moral est élevé. En revanche, leurs qualités militaires sont assez aléatoires : l’entraînement fait souvent défaut et il est fonction du professionnalisme des officiers de chaque régiment - le niveau desquels s'étend lui-même de l'expertise de l'ancien officier de carrière à l'incompétence la plus totale en la matière. Certaines unités s’avèrent donc de bonne qualité, alors que d’autres sont très médiocres.

La guerre se prolongeant, le moral baissera – ou plus exactement, il fluctuera au gré des victoires et des défaites. L’entraînement, lui, se fera meilleur, les deux belligérants mettant à profit l’hiver 1861-62 pour transformer leurs forces de « soldats du dimanche » en véritables armées. L’expérience et l’endurance des troupes augmenteront graduellement, l’épreuve du feu et des maladies opérant dans les rangs une sélection redoutable.

L’apogée des armées sudistes peut être situé à l’été 1863. Elles restent alors sur une série de victoires significatives, compensant les effets du blocus nordiste par les captures d’équipement et de ravitaillement opérées lors de ces succès. Elles amorceront leur déclin à la suite des pertes sévères subies lors des défaites que leur infligeront les Fédéraux cette année-là, notamment à Gettysburg et Chattanooga. L’armée confédérée baissera alors graduellement en qualité comme en quantité, jusqu’à ce que la situation devienne critique au début de 1865 : la faim, plus que toute autre motivation, poussera les soldats sudistes à déserter par milliers dans les dernières semaines du conflit.

800px-4th_United_States_Colored_InfantryLe « pic d’efficacité » des forces nordistes est quant à lui un peu plus tardif, au printemps 1864. À ce moment-là, ceux qui ont survécu sont des combattants aguerris, qui ont de surcroît appris de leurs défaites comme de leurs victoires, sans avoir à subir de pénurie notable puisque la puissante économie nordiste subvient à leurs besoins. Toutefois, ils subiront des pertes terribles dans les mois suivants, d’autant plus que les dirigeants nordistes pousseront à obtenir à tout prix des victoires significatives avant les élections présidentielles de novembre 1864. 

En outre, l’été vit les engagements de trois ans souscrits en 1861 s’achever, et bon nombre de soldats ne se rengagèrent pas. Contrairement à leurs homologues sudistes, affectés par la mobilisation générale, les vétérans nordistes n’étaient nullement tenus de renouveler leur bail, si bien qu’entre mai et juillet 1864, du fait des démobilisations et des pertes au combat, l’armée du Potomac a elle seule avait perdu 100.000 hommes. Il fallut les remplacer à la hâte par des conscrits, des régiments de garnison levés initialement « pour la durée de la guerre » (donc sans limitation dans le temps), et des soldats noirs. Si bien qu’à la fin du conflit, nombre d’unités considérées un an plus tôt comme des troupes d’élite n’étaient plus que l’ombre d’elles-mêmes, alors que celles censées les remplacer manquaient encore d’expérience.

Mener au combat des forces telles que les belligérants de la guerre de Sécession en alignèrent impliquait avant toute chose de les encadrer. Ce n’est pas le millier d’officiers de l’armée régulière de 1860 qui allait suffire à cette tâche ; et ce, même en rappelant au service ceux qui avaient quitté l’armée pour une raison ou pour une autre. L’ensemble des académies militaires du pays ne formant pas plus de quelques dizaines d’officiers par an, c’est par d’autres moyens qu’il allait falloir trouver des cadres compétents.  
 

Le commandement et les généraux

Comme on l’a vu précédemment, l’usage, parmi les unités de volontaires, tant au Nord qu’au Sud, voulait que les officiers soient élus par les soldats de chaque régiment. Si ce système permit de parer au plus pressé en fournissant de facto des gradés, les résultats étaient assez aléatoires, puisque les cadres ainsi désignés ne l’étaient pas nécessairement pour leurs qualités martiales. Peu étaient d’anciens officiers de carrière, certains étaient issus de la milice de leur État, la plupart n’avaient aucune expérience de la chose militaire. 

NathanBedfordForrestFréquemment, les élus étaient des notables – avocats, médecins, hommes politiques, représentants au Congrès – ou simplement des hommes habiles à persuader leurs compagnons de leur confier un grade d’officier – et les avantages qui allaient de pair. Certains parmi les plus aisés avaient eux-mêmes financé le recrutement et l’équipement du régiment, à l’instar par exemple de Nathan Forrest, devenu un des hommes les plus riches du Sud en faisant commerce des esclaves. C’est tout naturellement que ces généreux donateurs se retrouvaient ensuite à la tête de ces régiments, nonobstant leurs qualités militaires réelles.

Beaucoup ne jugèrent guère utile de s’exercer, surtout dans l’optique d’une guerre courte, et le système des officiers élus montra ses limites dès les premiers combats, où l’amateurisme de beaucoup d’entre eux se dévoila de manière criante. Nombre de batailles furent livrées dans la confusion la plus totale, par des officiers sans expérience, mais surtout sans talent. Il fallut, dans les deux camps, faire le tri, à commencer par les alcooliques : ce fut le cas, par exemple, du colonel Dixon Miles, qui commandait une division nordiste à Bull Run (21 juillet 1861), où il était tout simplement ivre.

Ceux qui s’étaient montrés compétents furent, petit à petit, promus à leur place, et on n’hésitait pas à les sortir du rang si nécessaire. Les plus sérieux d’entre eux s’appliquèrent à compulser, durant le temps libre que leur laissait l’entraînement de leurs hommes, les manœuvres et les combats, les nombreux manuels d’instruction existant : sur les tactiques de chaque arme, sur la formation des recrues, sur le combat à l’arme blanche, sur les fortifications de campagne… Les manuels qui régissaient l’armée fédérale avant guerre furent complétés par d’autres, spécialement dédiés aux unités de volontaires. Dans un camp comme dans l’autre, le corps des officiers se professionnalisa graduellement, comme le reste de l’armée.

Mais les officiers allaient très vite être confrontés à un autre tri, celui opéré par les pertes. Partageant la vie de leurs hommes dans leurs campements, ils souffrirent – et pour certains, moururent – des mêmes maladies. Plus encore, ils subirent au combat des pertes considérables. La seule bataille de Franklin (30 novembre 1864) coûta à l’armée sudiste 12 généraux et 57 commandants de régiments tués, blessés ou capturés en l’espace de quatre heures. Et à Gettysburg (3 juillet 1863), la division sudiste du général Pickett perdra tous ses commandants de brigades et de régiments en un laps de temps plus court encore. Les officiers subalternes devant remplacer au pied levé leurs supérieurs tués ou blessés à la tête de l’échelon supérieur, plus d’une fois, des régiments décimés se retrouveront commandés par de simples capitaines.

Parmi les facteurs expliquant ces pertes – outre le fait que, de façon générale, elles étaient déjà élevées – se trouve l’armement : les fusils à canon rayé, qui se sont généralisés, sont précis et portent loin, alors que dans le même temps les tactiques n’ont guère évolué depuis les guerres napoléoniennes. On se bat toujours en rangs serrés, et les officiers, qui commandent de l’avant, au milieu de leurs hommes, constituent des cibles faciles et prioritaires pour les tireurs ennemis. Ils troqueront bientôt leurs uniformes flamboyants pour des tenues discrètes, plus proches de celles de leurs soldats, et les officiers supérieurs perdront la désormais dangereuse habitude de mener leurs régiments à cheval.

Le cas des généraux est tout autre. Ceux-ci, en effet, ne sont pas concernés par le processus électif des régiments de volontaires. Leur nomination, au Nord comme au Sud, réclame une procédure beaucoup plus formelle ; elle doit au minimum faire l’objet d’un décret du président, lequel doit être ensuite ratifié par le Congrès, puis contresigné par le secrétaire à la Guerre. Mais devant les besoins générés par le conflit, cela n’allait pas être une garantie contre l’incompétence ou la médiocrité.

Il y aura, durant la guerre de Sécession, près d’un millier de généraux : pour être précis, 564 Nordistes et 401 Sudistes. Officiers et anciens officiers de l’armée fédérale, mais aussi anciens élèves des académies militaires, constitueront le principal vivier dans lequel les belligérants puiseront leurs généraux. Mais on comptera aussi parmi des gens qui étaient déjà généraux dans la milice de leur État ; voire même des hommes sans aucune expérience militaire préalable, élus officiers par les volontaires, puis sortis du rang au gré des promotions et des pertes parmi leurs supérieurs.

GeorgeMcClellanD’autres étaient tout simplement… des hommes politiques. Partisans farouches de la sécession ou du droit des États, ou au contraire défenseurs de l’intégrité de l’Union ou abolitionnistes convaincus, ils usèrent de leur influence politique et de leurs relations pour être nommés généraux avec, bien souvent, l’arrière-pensée d’utiliser leurs faits d’armes escomptés pour soutenir leur carrière ultérieure. Ce sera le cas par exemple de Benjamin Butler, sénateur du Massachusetts, John Breckinridge, adversaire sudiste de Lincoln aux élections présidentielles de 1860, ou encore de l’ambitieux George McClellan (qui lui, avait effectivement une formation d’officier) qui allait utiliser la notoriété acquise durant son commandement pour se présenter contre ce même Lincoln aux présidentielles de 1864.

De ce fait, la qualité des généraux allait s’avérer assez hétérogène, les militaires professionnels côtoyant des politiciens sans expérience. Les premiers étaient évidemment plus favorisés que les seconds, mais ils seraient faux de dire qu’ils étaient toujours meilleurs : certains généraux politiques se révélèrent être de brillants tacticiens, alors que d’autres issus de West Point furent de médiocres meneurs d’hommes.

On lit fréquemment que, au moins au début de la guerre, le commandement sudiste était supérieur à son homologue nordiste. C’est vrai en ce qui concerne le front Est et l’armée de Virginie septentrionale – celle dont Lee allait prendre le commandement en 1862. Mais c’est un peu l’arbre qui cache la forêt : s’il fallut attendre l’été 1863 pour que Lee et ses généraux trouvent des adversaires à leur mesure, dans l’Ouest en revanche, le commandement confédéré allait dès le départ s’avérer globalement inférieur à ses ennemis. La seconde moitié du conflit verra une sorte de « rééquilibrage », l’Union transférant vers l’Est les généraux à l’origine des victoires stratégiques remportées dans l’Ouest. Si bien qu’au final, les qualités des généraux des deux camps finit par s’équilibrer, le Nord comme le Sud ayant chacun leur lot de génies autant que d’incompétents.

Côté nordiste, nombre de généraux furent des officiers, servant initialement dans l’armée régulière, mais affectés à l’armée des volontaires pour l’encadrer, à un grade souvent notablement supérieur à leur rang initial… qu’ils conservaient par ailleurs. Comme leur service pouvait leur valoir des promotions par brevet aussi bien dans l’armée régulière que dans celle des volontaires, certains terminèrent la guerre avec quatre grades différents ! C’est ainsi que George Custer, major-général des volontaires, l’était également dans l’armée régulière, mais par brevet… si bien que lorsque la guerre s’acheva, il retrouva le grade qui était le sien dans l’armée régulière, celui d’un simple major.

La situation était moins complexe dans le camp sudiste, où la promotion par brevet ne fut jamais pratiquée. L’armée régulière confédérée étant restée embryonnaire, la plupart des généraux sudistes ne portèrent que le grade qui était le leur dans l’armée provisoire de la Confédération – l’équivalent sudiste de l’armée des volontaires.

Lincoln_and_generals_at_AntietamLa hiérarchie entre les généraux fut également différente d’un camp à l’autre. Restant fidèle à l’organisation d’avant-guerre, l’armée nordiste n’utilisa guère que deux grades, brigadier-général (insigne à une étoile) et major-général (deux étoiles). Comme dans le reste de la chaîne de commandement, deux généraux de grade égal déterminaient lequel des deux était supérieurs à l’autre en fonction de leur ancienneté à ce rang. Quant au grade de lieutenant-général, quasiment honorifique (il n’avait été porté que par George Washington), il fut conféré à Grant lorsque celui-ci prit le commandement en chef de toutes les armées de l’Union, en 1864.

La Confédération, pour sa part, fut un peu plus prolixe en généraux. Elle nomma plus volontiers des lieutenants-généraux, notamment parmi les commandants de corps d’armée, et créa un grade encore supérieur, simplement appelé « général » (parfois écrit full general en anglais). Il y en eut sept en tout. Détail curieux, il n’y a pas de distinction d’uniforme entre les différents grades de généraux confédérés : tous les quatre portent le même insigne à trois étoiles – une grande flanquée de deux autres plus petites.

Tout autant que leurs officiers et leurs hommes, ces généraux subirent des pertes élevées : un général nordiste sur vingt mourut au combat, et un sudiste sur dix, sans compter les quelques-uns qui moururent de maladies contractées en service. De fait, une brigade se commande en principe de l’avant, exposant le général qui est à sa tête. Même si les échelons supérieurs nécessitent quant à eux de rester plus en retrait, l’absence de transmissions efficaces autres que les ordres écrits ou verbaux les oblige à rester près de la ligne de feu, ce que la portée et la précision accrues des fusils comme de l’artillerie rendait d’autant plus dangereux.

 

Sources

Pour approfondir cette série d’articles sur les armées de la guerre de Sécession, on pourra se référer aux sources suivantes :

-    La guerre de Sécession, de James McPherson : paru en 1988 aux Etats-Unis, édité en France par Robert Laffont (collection Bouquins), cet ouvrage lauréat du prix Pulitzer reste la référence pour une approche complète du conflit.
-    Les deux articles de l’encyclopédie en ligne anglophone Wikipedia, respectivement sur les armées nordiste et sudiste, sont très synthétiques, mais renvoient à plusieurs articles connexes et liens externes très utiles pour approfondir le sujet.
-    Le site USRegulars.com regroupe des sources précieuses sur l’état et l’organisation de l’armée fédérale avant la guerre de Sécession, ainsi que sur son service durant le conflit. 
-    L’Université du Tennessee héberge un index consacré aux généraux des deux camps, avec pour chacun une biographie succincte, ainsi que d’autres données, le tout rédigé par l’Australien Kerry Webb.

Bibliographie

L'Armée Américaine Pendant La Guerre de la Sécession, de Victor De Chanal. Wentworth Press, 2018. 

.