CherokeenationalflagBien qu’en principe non concernés par la guerre civile qui déchirait une nation ne les admettant pas réellement en son sein, les Amérindiens n’en subirent pas moins, eux aussi, les conséquences du conflit. C’était particulièrement vrai pour ceux, en partie acculturés, qui étaient établis dans le « Territoire indien » - une zone sans organisation administrative située à l’ouest de l’Arkansas et qui correspond aujourd’hui à l’État de l’Oklahoma. Ces populations se retrouvèrent elles-mêmes divisées, faisant ainsi l’expérience de leur propre guerre civile.

 

Une immense réserve 

Au cours de la fin du XVIIIème siècle et de la première moitié du siècle suivant, l’expansion croissante des États-Unis vers l’ouest s’était heurtée aux premiers habitants des lieux, les Amérindiens. Peu à peu soumis par la force des armes ou la négociation, ils furent graduellement dépossédés de leurs terres. Les plus coopératifs obtinrent le « privilège » de rester plus ou moins sur la terre de leurs ancêtres dans de minuscules réserves, d’où il ne leur était guère permis de sortir. Dans l’est, beaucoup de ces Indiens finirent par adopter la religion et la culture de la population d’ascendance européenne. 

Ceux qui résistèrent furent traités sans ménagement. La guerre de 1812, où beaucoup avaient tenté de s’allier aux Britanniques pour contrebalancer la montée en puissance des États-Unis, accéléra leur déclin. Durant les trente années qui suivirent, la question indienne allait devenir une des principales préoccupations du gouvernement de Washington. Il fallait repousser toujours plus à l’ouest la « Frontière », et la présence des autochtones était comme un obstacle à l’accomplissement de la « destinée manifeste » du peuple américain à s’étendre de l’Atlantique au Pacifique. On commença ainsi à déporter les tribus récalcitrantes, notamment celles du Midwest, vers des réserves situées dans le territoire situé à l’ouest de l’Arkansas, alors vide de Blancs et dépourvu d’intérêt. 

Dans le Sud aussi, l’installation de colons blancs toujours plus nombreux avait conduit à convoiter les terres, encore relativement vastes, qui avaient été laissées aux tribus locales par les traités précédemment conclus avec Washington. Parallèlement, une partie de ces tribus avait été christianisée, adoptant des éléments de la culture européenne. C’était notamment le cas pour les nations Cherokee, Choctaw, Creek, Chickasaw et Séminole. Ces peuples, partiellement intégrés à la société américaine, finirent par être connus des Blancs comme les « Cinq nations civilisées ». Parmi les éléments empruntés par elles au mode de vie sudiste, figurait l’exploitation agricole en plantations et le recours à l’esclavage.

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 Cela n’empêcha pas le gouvernement fédéral de leur imposer finalement, entre 1830 et 1835, l’échange de leurs territoires dans le Sud contre d’autres situés dans l’actuel Oklahoma. Creeks, Choctaws, Chickasaws et Cherokees furent rassemblés, de gré ou de force, dans des camps, d’où ils furent ensuite déportés vers l’ouest dans des conditions déplorables. Plusieurs milliers d’entre eux moururent de maladie ou de privations sur les chemins de l’exil, connus depuis sous le nom de Trail of Tears, la piste des larmes. Les Séminoles subirent le même sort, non sans avoir obligé l’armée fédérale à livrer trois guerres pour la conquête de la Floride. 

Les Indiens et la guerre civile 

Stand_WatieAu recensement de 1860, on dénombrait environ 110.000 Amérindiens dans les réserves, dont moins de 10.000 à l’est du Mississippi. Le Bureau du Recensement estimait à 230.000 le nombre d’Indiens vivant hors des réserves, principalement dans le Far West. Sur les 110.000 Indiens « soumis » vivant en réserve, 65.000 habitaient le Territoire indien, appartenant essentiellement aux Cinq nations civilisées. En dépit de leur déportation, ceux-ci avaient conservé leur façon de vivre : ils possédaient plus de 7.000 esclaves noirs. Tant est si bien que lorsque la guerre de Sécession éclata, les habitants du Territoire indien se trouvaient culturellement et économiquement proches de la Confédération – sans parler de la rancœur que certains éprouvaient vis-à-vis du gouvernement fédéral. 

Cette proximité d’intérêts n’échappa pas au gouvernement confédéré. Dès mai 1861, le secrétaire à la Guerre sudiste, Leroy Walker, mandata un ancien agent du Bureau des affaires indiennes, Douglas Cooper, pour obtenir le soutien des Cinq nations civilisées. Bien connu des Choctaws et des Chickasaws, Cooper leva des volontaires dans leurs rangs, devenant rapidement général dans l’armée confédérée. Nombre d’Indiens prirent fait et cause pour la Confédération, dont un membre influent de la communauté cherokee, Stand Watie. Ils acceptèrent que la Confédération annexe le Territoire indien en échange de sa protection contre le gouvernement fédéral. 

OpothleyaholaPlusieurs chefs tribaux, plus circonspects mais minoritaires, refusèrent cette proposition. Ce fut notamment le cas du dirigeant des Creeks, Opothleyahola, qui demanda l’aide de Washington en août. L’armée fédérale n’avait alors pas de forces à allouer pour le soutien des Indiens loyalistes, aussi fut-il demandé à Opothleyahola de se replier, avec ses partisans, en direction du Kansas, situé plus au nord et demeuré fidèle à l’Union. Pendant qu’il regroupait ses partisans, le chef creek fut assailli par les Indiens pro-sudistes de Cooper, renforcés par des éléments confédérés venus du Texas. Un premier accrochage à Round Mountain, le 19 novembre 1861, l’obligea à anticiper son départ. 

Opothleyahola tenta d’improviser une position défensive à Chusto-Talasah le 9 décembre. Mais ses hommes, mal organisés et sans soutien, manquaient de munitions et durent se replier à nouveau. Les Sudistes finirent par rattraper la colonne unioniste, grossie de milliers de réfugiés, dans son camp établi à Chustenanlah. L’assaut, donné le 26 décembre, tourna rapidement à la déroute pour les défenseurs. Les Indiens loyalistes durent s’enfuir précipitamment en abandonnant tous leurs biens, marchant jusqu’au Kansas à travers la neige et le blizzard. Des centaines moururent de froid et de faim en route, pendant que la Confédération établissait un contrôle solide sur le Territoire indien. 

La reconquête 

DHCooperCe succès allait toutefois être de courte durée. En mars 1862, les Confédérés avaient été battus à Pea Ridge et les Nordistes menaçaient à présent l’Arkansas. Les Sudistes ne pouvaient plus guère soutenir leurs partisans indiens et Stand Watie, entretemps nommé général dans l’armée confédérée, était essentiellement livré à lui-même, tout comme Cooper. Au cours de l’année 1862, l’armée fédérale réoccupa progressivement le nord-est du Territoire indien, notamment Fort Gibson, en dépit des attaques menées sporadiquement par les Sudistes. Une guerre d’escarmouches, d’avancées et de retraits s’ensuivit pendant plus d’un an. 

Une guerre civile aussi, car les Indiens unionistes qui avaient survécu à la retraite de Chustenanlah avaient formé une Indian Home Guard composée de trois régiments, prête à en découdre avec leurs compatriotes pro-sudistes. À l’été de 1863, les Confédérés envoyèrent en renfort la brigade de William Cabell, et Cooper en profita pour tenter de reprendre Fort Gibson. Malheureusement pour lui, le mauvais temps allait profiter aux Fédéraux. Pendant que les orages grossissaient les rivières et ralentissaient la marche de Cabell, un convoi de ravitaillement nordiste, destiné à Fort Gibson, parvint à passer en force à travers une embuscade à Cabin Creek (1er juillet). 

Informé de l’arrivée prochaine des renforts ennemis, le général nordiste James Blunt décida alors d’attaquer le premier. Il fit marcher ses 3.000 hommes sur le principal dépôt confédéré du Territoire indien, à Honey Springs, où Cooper commandait une force équivalente. Blunt s’aperçut dès les premiers accrochages, le 17 juillet, que les Sudistes n’avaient pratiquement pas de munitions : faute de matériel adéquat, ils n’avaient pu protéger leurs cartouches de la pluie et leur poudre était mouillée. Il poussa immédiatement son avantage, s’emparant de Honey Springs et mettant en fuite l’armée ennemie. 

General_James_G._Blunt_USACette victoire porta un coup fatal au contrôle sudiste du Territoire indien. Blunt se retourna ensuite contre Cabell. Fin août, il occupa Fort Smith, la principale base confédérée dans le nord-ouest de l’Arkansas. Cabell fut battu à Devil’s Backbone le 1er septembre, et il devint pratiquement impossible à la Confédération d’aider ses partisans indiens. Stand Watie poursuivit seul la lutte, essentiellement sous forme de guérilla, tandis que l’armée fédérale réoccupait le Territoire indien. Malgré les défections de plus en plus nombreuses, ses hommes combattirent encore pendant près de deux ans. Watie fut le dernier général sudiste à capituler, ne déposant les armes que le 23 juin 1865. 

Il fut le seul Amérindien à être fait général durant la guerre. L’officier d’état major nordiste Ely Parker, un Seneca de l’État de New York, fut certes fait brigadier-général pour son rôle dans la capitulation du général Lee en avril 1865 – il en avait rédigé les termes. Il s’agissait toutefois d’une promotion par brevet, et Parker demeura, dans les faits, lieutenant-colonel. En dehors du Territoire indien, quelques milliers d’Amérindiens servirent dans les armées des deux camps. Il y eut d’autres opérations militaires impliquant des Indiens, comme celles menées à la fois par les Fédéraux et les Confédérés contre les Apaches du Nouveau-Mexique, ou le soulèvement des Sioux du Minnesota en 1862 – mais contrairement au conflit qui avait divisé les Cinq nations civilisées, ce furent des événements contemporains de la guerre de Sécession, plutôt que directement liés à elle.

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