Ours ChauvetLes Hommes préhistoriques ont côtoyé les Ours des cavernes, vivaient dans les mêmes grottes, s’en nourrissaient et récupéraient leurs fourrures. Ils ont également inspiré leur art. Mais de nombreux mystères demeurent sur cette relation de l’Homme à l’animal : chassait-il cette force de la Nature ? Se contentait-il de dépecer les charognes ? Quelle place l’ours prenait-il dans l’univers symbolique des premières sociétés ? Un culte lui fut-il dédié ?

 

Les Ours

Apparu il y a 1,8 millions d’années, Ursus deningeri est l’ancêtre de deux autres espèces, Ursus spelaeus (ours des cavernes) et Ursus arctos (ours brun). L’Ours des cavernes est apparu il y a environ 250 000 ans où il vécu en Europe, du sud de l’Angleterre au Caucase, et même jusque dans les montagnes de l’Oural principalement dans des zones montagneuses pourvues en forêts mixtes. On le trouvait rarement dans les zones glaciaires sans forêts où le climat était froid et sec.

Debout le mâle pouvait atteindre 3m50, 1m30 au garrot et pesait de 400 à 600 kilos. La morphologie de sa tête est différente de celles des autres espèces. Il était constitué d’un front bas, d’une bosse frontale et d’un museau moins développé. Le corps trapu et massif avec un profil général incliné à l’arrière-train car leurs pattes avant sont plus longues et plus robustes que les pattes arrière. Leur cou est assez long et porte une bosse où ils accumulent la graisse nécessaire pour l’hiver. Ils se caractérisent par un régime alimentaire omnivore avec une alimentation majoritairement végétale.

À la fin de l’automne, ces animaux solitaires cherchaient un endroit tranquille à l’abri du vent, du froid et des prédateurs afin de passer l’hiver au fond des grottes. Pour se préparer à l’hivernation, ils passaient les saisons plus chaudes à faire des réserves en se nourrissant de fruits, de feuilles et d’herbes essentiellement. Durant l’été se produisait également le rut, qui faisait naitre les oursons en hiver. Ainsi, les réserves nutritionnelles des ours devaient être suffisantes afin que l’animal survive mais également le petit ou les petits, sans manger ni boire. Durant cette période, l’ours menait seulement une vie ralentie, on parle ainsi d’hivernation, et non d’hibernation comme pour la marmotte. Sa température corporelle s’abaisse, sa respiration et son rythme cardiaque se ralentissent. Sa vigilance ne s’était point atténuée et l’animal savait si un autre animal ou un homme tentait de pénétrer dans sa tanière. C’est à ce moment qu’il pouvait devenir très agressif. En règle générale, on pense que les ours ne s’approchaient pas des hommes et ne les attaquaient pas. 

L’Ours des cavernes a cohabité avec une autre espèce d’ours, les Ours bruns.

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 L’Ours brun était lui présent il y a environ 250 000 ans en Europe dans des plaines boisées et c’est beaucoup plus tardivement qu’il se réfugia dans les montagnes à cause de la présence humaine de plus en plus abondante. Ils ont une grande bosse de muscles au-dessus de leurs épaules qui donne la force aux membres antérieurs pour creuser. Leur tête est grande et ronde avec un front fuyant. Debout, l’ours mâle atteint une hauteur de 3m50. Malgré leur taille, ils peuvent courir à des vitesses allant jusqu’à 56 km/h.

L'ours brun est un omnivore dont l'alimentation varie selon les saisons. Charognard à la fin de l'hiver, il devient chasseur au printemps, cueilleur en été et à l'automne. Opportuniste, il prend tout ce qui passe à portée de sa gueule, en s'adaptant aux conditions offertes par son milieu. La majorité de ses repas est d'origine végétale : fruits et baies (myrtilles, fraises, framboises, sorbes), tubercules, graminées, glands, etc. En une année, la viande ne représente jamais plus de 25 % de sa nourriture. L'Ours brun mange beaucoup, de 10 à 20 kg par jour.

Tout comme les Ours des cavernes ils hivernent et donc à la fin de l’automne ils se cherchent un endroit propice comme un enchevêtrement d'arbres abattus, un gros arbre creux, un abri sous roche ou le trou laissé par les racines d'un arbre renversé, mais pas de grotte. L'ours élimine les pierres de l'abri et y installe souvent une litière de branchettes et de mousse.

Relations Hommes/Ours

Nous savons que les Hommes préhistoriques ont côtoyé les Ours des cavernes et les Ours bruns. Des représentations de ces animaux apparaissent sur les parois de certaines grottes. Des traces de bauges, d’empreintes, de griffades et d’un très grand nombre d’ossements de ces ours ont également été retrouvés par les archéologues. La plupart au fond de grottes où les ours hivernaient, et plus rarement sur des sites de plein air. S’agit-il d’ossements d’ours morts naturellement ou d’ours chassés par les Hommes préhistoriques ?

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La rencontre entre les hommes et les ours se fait dans une concurrence pour l’occupation des grottes. Les Ours des cavernes affectionnent les fonds de grottes, comme les hyènes, les lions des cavernes mais également les hommes préhistoriques. Il est possible qu’ils se soient croisés et se soient disputé les lieux. Une ourse avec ses petits devait être très agressive mais faible. Cette scène s’est sans doute produite il y a 12 000 ans en Suisse dans la grotte du Bichon. Un squelette d’Ourse avec une flèche plantée dans une vertèbre est enchevêtré avec celui d’un homme. Se disputaient-ils la grotte ou était-ce une chasse à l’Ours ?

Des opportunités devaient se présenter, pas seulement dans les grottes, comme un vieil ours faible, un jeune seul, un ours blessé, etc.

Ils se retrouvent dans de très nombreux gisements du Paléolithique moyen. Environ 200 grottes contenant des ossements ont été répertoriées contre une dizaine de sites de plein air.

Avec leur 3,50 mètres de haut une fois debout, les Ours des cavernes étaient des animaux très impressionnants. Il est donc peu probable que les hommes préhistoriques les aient chassés. Mais pendant leur période d’hivernation, les femelles ainsi que ces oursons étaient des proies faciles. Après une longue période sans manger ni boire, et après avoir mis bas, l’ourse était affaiblie.

Des traces de découpe significatives sur des ossements d’Ours des cavernes prouvent que les hommes préhistoriques se sont nourris de viande d’ours et ont récupéré les fourrures comme par exemple dans la grotte de Stajna (Pologne). Mais ce nombre est très petit comparé au nombre total d’ossements d’ours retrouvés. La plupart seraient morts à la naissance, de faim, de maladie. Mais rarement tué par l’homme.

Dans la grotte de la Balme à Collomb (Massif de la Chartreuse), plus de 1000 individus d’ours des cavernes ont été retrouvés. Il s’agit d’un des plus gros gisements d’ours des cavernes découvert à ce jour en Europe. Les ossements se sont accumulés et montrent une durée d’occupation de la grotte très longue de 21 000 ans (de -45 000 à -24 000 ans). Dans la grotte de Font-de-Gaume (Dordogne) des ossements avec traces de découpe ont été découverts. D’autres traces sur les ossements montrent que des carnivores telles que les hyènes ont mangé de l’ours. Cette espèce animale est plus réputée pour le charognage que pour la chasse, ce qui laisse supposer que les ours étaient morts.

Pour l’Ours brun, comme pour l’Ours des cavernes, les hommes devaient très peu les chercher mais les trouver par hasard près de leur tanière.

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Des ossements d’ours bruns ont été retrouvés en grand nombre sur le site de Biache-Saint-Vaast dans le Pas-de-Calais daté du paléolithique moyen. Il s’agissait en majorité d’adultes avec un équilibre entre mâles et femelles. Ces os comportent de nombreuses traces de découpe liées à la récupération de la viande mais également de prélèvement de la fourrure.

Ce site est situé dans un fond de vallée près d’un fleuve ainsi que d’une zone marécageuse. Ce lieu est idéal pour tuer des mammifères de grandes tailles et pouvant être dangereux. Une fois embourbés, les hommes pouvaient les tuer sans danger pour eux. Ceci se retrouve dans plusieurs sites de cette époque, qui tend à prouver que les hommes préhistoriques ne chassaient pas l’ours brun directement mais profitaient du fait qu’il soit piégé.

Un autre site comporte des ossements d’Ours brun, la grotte du Régourdou (Dordogne).

La principale difficulté est alors d’évaluer la part de la chasse et du charognage dans cette exploitation. L’hypothèse d’un charognage dans un lieu de mort naturelle d’Ours spéléens semble toutefois privilégiée à ce jour.

Pour cette période de la Préhistoire, les vêtements ou autres pouvant être réalisés à l’aide de la fourrure d’Ours brun et d’Ours des cavernes n’ont pu être retrouvés.

Par contre, pour la période du Néolithique, un bonnet en peau d’Ours brun a été retrouvé près du corps d’Otzi.

Quid de la disparition

L’ours des cavernes disparaît comme les autres représentants de la mégafaune du Quaternaire vers 10 000 avant J.-C. Durant les maxima glaciaires, les secteurs boisés diminuaient sensiblement, ainsi les populations d’ours des cavernes étaient contraintes de vivre isolées, ce qui les exposait grandement à la consanguinité et qui aurait entraîné l’extinction de l’espèce, et non la chasse intensive des Hommes. On peut aussi se demander si l’ours des cavernes n’a pas été en partie victime de son mode de vie. En effet, l’absence d’exposition au soleil plusieurs mois consécutifs contribue au rachitisme, et l’hivernation exige des réserves de graisse suffisantes. Avant l’hibernation, l’Ours des cavernes avait ainsi besoin d’accéder à une grande quantité de nourriture qui, peut-être, manquait parfois.

L’ours brun est encore présent aujourd’hui, mais vraiment très peu en France (seulement dans les Pyrénées). Il est représenté en Amérique par deux sous-espèces, le grizzli en Amérique du Nord et le Kodiak sur une île au sud de l’Alaska. Il est également présent en Espagne, Italie, Slovénie et Autriche.

L’Ours dans l’art : le portrait d’une espèce éteinte

En France, 52 ours sont représentés dans l’art pariétal. Ils sont rarement représentés contrairement aux chevaux, bisons, bouquetins et aurochs. Ils font parties des représentations d’animaux disparus comme le cheval de Prjevalski. L’Ours des cavernes est reconnaissable par son museau peu allongé et le décrochement au niveau de la racine du nez visible sur le profil du crâne.

Dessin :

La grotte Chauvet contient au moins 4 000 ossements d'ours des cavernes, issus d’environ 200 individus. Treize représentations d’Ours sont visibles parmi 420 dessins animaliers réalisés par des artistes préhistoriques, dont celles-ci réalisées à l’ocre.

La première photographie comporte la représentation d’un ours complet et de deux têtes de profil. Une sous la tête de celui qui est complet, l’autre à l’arrière.

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La seconde représente un ours complet et unique car la tête est tachetée.

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Gravure :

Dans la grotte du Péchialet en Dordogne, une gravure d’ours, dite « chasse à l’ours » a été découverte sur une plaquette de schiste. Elle représente un ours debout entre deux hommes. La patte griffue de l’animal est près de la tête de l’homme devant lui, comme pour le frapper. L’homme de derrière pourrait venir aider le premier. Il est difficile de voir si le long trait qui prolonge son bras au-dessus de la tête de l’ours est une arme ou non, qu’il brandirait.

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D’autres y voient une « danse cérémonielle ou un harcèlement cérémoniel de l’ours ».

Sur ce galet découvert à Neuville-sur-Ain un ours est gravé.

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Des représentations d'ours comme celle de la grotte des Trois-Frères, dans l'Ariège, nous montrent, d’après l’Abbé Breuil, qu'ils étaient lapidés et criblés de flèches pour être tués. Mais cette gravure représente-t-elle une scène qui a réellement eu lieu ?

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D’après les études actuelles, on pense que les ours n’étaient pas considérés comme du gibier, mais pouvaient-ils faire l’objet d’une chasse cultuelle ?

Le culte de l’Ours

Dans la première moitié du XXe siècle, Emil Bächler, préhistorien suisse, a défini une culture propre aux Alpes, le « Paléolithique alpin » à partir des fouilles qu’il a dirigées dans deux grottes alpines, Drachenloch et Wildmannlisloch.

D’après lui, cette culture se caractérise par une chasse spécialisée aux Oursons des cavernes dans des sites d’altitude et par un « Culte de l’Ours des cavernes », « culte de la chasse et du sacrifice ». Celui-ci se manifeste par des dépôts d’os longs et de crânes d’ours des cavernes contre les parois ou empilés, mais aussi répartis dans des structures. Dans la grotte de Drachenloch,

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les ossements étaient dans des sépultures et des caissons en pierres, dans des murets ou cistes dans celle de Wildmannlisloch. Cette théorie a connu rapidement un grand succès, permettant la diffusion géographique de la culture du « Paléolithique alpin » en autres en Allemagne, Autriche, Croatie…, grâce à de nombreuses découvertes similaires de dépôts intentionnels d’ossements d’ours.

Dans les années 50 et 60, quelques chercheurs comme F.E. Koby et J.P. Jéquier ont remis en cause l’origine anthropique du matériel et la notion de « Culte de l’ours » a pratiquement été abandonnée.

Néanmoins, grâce à la découverte de stries de découpe sur des ossements d’ours provenant de sites fouillés récemment et du réexamen de matériel issu de fouilles plus anciennes, les relations hommes/ours sont aujourd’hui moins mystérieuses. À Chauvet, on a pu constater le déplacement d’ossements d’ours très probablement par l’homme car ils ont été retrouvés dans des positions non naturelles, comme par exemple plantés dans le sol ou encore dans une fissure des parois de la grotte. Ces actions n’étant pas explicables dans l’état actuel des connaissances, le terme de « symbolique » est alors utilisé.

Au paléolithique inférieur, des traces d'un éventuel culte de l'Ours auraient été trouvées dans le Kitzelherg en Silésie. Dans une grotte située près du sommet de ce mont, Zotz découvrit un crâne d'Ours associé à quelques ossements de l'animal. La denture était remarquable par la détérioration des dents de devant (incisives, canines), faite du vivant de l'animal. Certains pensent que cette mutilation faite par l’Homme peut être un témoignage d'un culte de l'Ours. On a aussi trouvé des crânes présentant certaines perforations et rangés dans des coffres de pierre, dans une grotte du Drachenloch en Suisse.

De nombreuses découvertes tendent à prouver que le rite des offrandes de têtes, crânes et ossements d'animaux existait encore au paléolithique supérieur. En Silésie (Deyesdorf), des crânes d'Ours apparaissent dans des dispositions diverses, encastrés dans des fentes de la paroi et protégés par des plaques de pierre. Ce rite nous rappelle les crânes trouvés à Drachenloch et à Kitzelherg. Des trouvailles similaires ont été faites avec des ossements de Mammouths, à Desna (Russie). Dans la Grotte de Pech-Merle (Lot), Lemozi découvrit dans l'ossuaire une fosse creusée de main d'homme et contenant des os longs et des côtes d'Ours en parfait état. Il retrouva les crânes intacts à quelque distance de là, dans la même salle, sous des petits tas d'argile.

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Un squelette de néandertalien a été découvert dans la grotte du Regourdou, à proximité de Lascaux, dans une sépulture datant de 70 000 ans BP sous une dalle monolithe de 850 kg et associé aux restes d’un ours brun. Il a longtemps été considéré comme l’un des plus anciens indices d’adoration de l’ours mais cette version est discutée aujourd’hui.

À Chauvet, des crânes d’ours disposés en cercle ont été découverts ; l’un d’eux était volontairement posé sur un rocher au centre d’une des salles ornées de la grotte. À Montespan (Haute-Garonne), il y a 17 000 ans, la statue d’un ours était façonnée dans l’argile, d’une longueur de 1m10 et percée de trous de sagaies.

De nombreux exemples montrent des déplacements d’ossements d’Ours des cavernes mais pouvons-nous être certain qu’il s’agit bien là d’un culte de l’Ours d’Hommes préhistoriques ?

La question reste ouverte. Tous les préhistoriens ne sont pas d’accord avec cette idée d’un culte à l’Ours mais le manque de sources nous empêche toujours de répondre à cette interrogation. 

Bibliographie

- Mohen J.P. et Taborin Y., Les sociétés de la Préhistoire, Ed. Hachette supérieur, 2005.

- Duhard J.P., Réalisme de l'image masculine Paléolithique, Ed. J. Million, 1996.

- Elalouf J.M. et Féruglio V., "L'ours spéléologue", Pour la Science, n° 412, Février 2012.

- Calvet J.P., "La grotte de la Mine du Pouech d'Unjat", Actes du colloque karst et mines, octobre 1988, Soreze.

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