1 Fouille musée CalvetL'archéologie des jardins est le plus souvent utilisée dans le cadre de projets de restauration, et reste donc principalement cantonnée à une « archéologie de service » et à de l'archéologie préventive. Le développement de cette discipline est impulsé à la fois par l'évolution de l'archéologie, dont les champs d'étude se diversifient, et par l'importance croissante des disciplines environnementalistes, telle que la question du développement durable. L'archéologie des jardins est donc une science pluridisciplinaire, elle allie archéologie, biologie, géologie, hydrologie, ethnobotanique, ou encore la connaissance des réseaux hydrauliques. Elle a pour vocation de mieux comprendre les structures architecturales, la composition et l'organisation des jardins d'époques antérieures, mais aussi les méthodes de création et d'entretien, en complément de ce que les textes et l'iconographie révèlent déjà.

 

Histoire de l'archéologie des jardins

Les prémices de cette nouvelle discipline apparaissent dans les années 1920, avec l'étude des peintures murales de Pompéi, représentant des jardins du I er siècle. Le jardin suscite alors un certain intérêt et il devient l'objet de fouilles archéologiques. Mais ces recherches ont, à l'origine, pour but de restaurer uniquement les structures architecturales du jardin et la disposition des aménagements extérieurs.

Pierre Grimal est l'un des premiers à écrire au sujet de l'Histoire des jardins, notamment sur les jardins antiques romains. Mais c'est Wilhelmina Jashemski, une archéologue américaine, qui va pour la première fois s'intéresser à l'archéologie des jardins dans les années 1960. Pionnière dans ce domaine, elle étudie non seulement les vestiges architecturaux, mais aussi végétaux, observables grâce à la conservation particulière des sites recouverts par le Vésuve en l'an 79.

A partir des années 1980, des équipes anglo-saxonnes (David Jacques, Naomi F. Miller, Kathryn L. Gleason) vont affiner cette discipline. Depuis 1993, Anne Allimant a su développer cette discipline en France, et prouver l'intérêt d'une archéologie des jardins. Elle a fouillé ou étudié une trentaine de sites, et notamment le jardin des Tuileries en 2012, celui de la Bâtie d'Urfé (Loire) de 1993 à 1998, et, à Avignon, le jardin du Palais des Papes de 2014 à 2015, et le jardin du musée Calvet en 2010.

La méthode

2 pollens microscopeAvec ces nouveaux acteurs, trois axes de recherche se développent. Tout d'abord l'étude de la surface du sol avec des techniques comme la prospection aérienne, la fouille « fine », ou la prospection géophysique : magnétométrie, résistivité électrique des sols, ou radars. La recherche se poursuit par un décapage des couches superficielles du sol, qui fait apparaître par exemple les allées, les fosses de plantation, et dévoile l'ancienne configuration du jardin. Enfin a lieu l'étude des couches profondes, lorsque l'on soupçonne la présence d'une structure, ou de manière ponctuelle pour repérer un éventuel terrassement ou un dénivelé.

Dans un premier temps se déroulent des études préliminaires : une étude historique du site et de ses environs, une étude de la cartographie, ou encore une lecture des photographies aériennes. Puis on étudie la terre strate par strate afin d'identifier le niveau et/ou les structures de la période concernée. Ensuite on effectue plusieurs sondages à l'aide d'engins mécaniques, à intervalle régulier afin que l'échantillon soit au plus près de la réalité du terrain. Les coupes ou carottes réalisées sont alors étudiées par le biais de la microstratigraphie, les résultats permettent d'identifier d'éventuelles périodes d'amendement, de jachère, ou encore de labour.

5 pot et pot bulbe brionLes décapages ponctuels font apparaître les structures et le plan du jardin, qui sont relevés à l'échelle 1/20 e sur papier millimétré. Des échantillons de terre peuvent être prélevés pour être analysés, afin d'identifier la nature de certains sols, leur amendement, des phénomènes hydrogéologiques récurrents, la nature des plantes du jardin, etc.

Différentes disciplines scientifiques sont utilisées, comme la palynologie, qui consiste à étudier les pollens. En laboratoire, on sépare les pollens des sédiments, au microscope on les identifie grâce à une typologie connue, et l'on constitue des diagrammes palynologiques afin de recenser la fréquence des espèces.

La carpologie est l'étude des graines, la plupart du temps elles sont conservées par carbonisation, mais peuvent aussi l'être par imbibition ou minéralisation. Les échantillons prélevés sur le terrain sont tamisés, ou mis en « flottaison ». Comme pour les pollens les graines sont identifiées grâce à une typologie. Une étude morphométrique plus poussée peut permettre d'identifier les espèces sauvages des espèces cultivées.

3 graines carboniséesL'anthracologie est l'étude des charbons. Encore une fois il faut qu'il y ait eu carbonisation ou conservation par imbibition, dans ce cas l'utilisation de la xylologie permet d'identifier les essences en fonction de la densité du bois. La dendrochronologie, elle, identifie l'âge d'abattage de l'arbre grâce aux fameuses cernes, mais permet aussi de dater son existence et ce de manière plus précise que le carbone 14. Il existe encore de nombreuses disciplines qui peuvent être utilisées dans l'étude des jardins, telle que la malacologie, qui est l'étude des petits mollusques.

La Bâtie d'Urfé : un jardin de la Renaissance étudié par le biais de l'archéologie

Les fouilles révèlent que ce jardin, installé sur un terrain marécageux, est au préalable entièrement décapé. Puis le terrain est creusé jusqu'au substrat argileux, et ce substrat de fondation est retaillé en forme d'amphithéâtre. Là où des structures porteuses d'eau (bief, bassin, douves) vont être construites, le substrat est entaillé plus profondément, et l'argile prélevée est réutilisée pour les fondations de certaines constructions (« petit temple », galerie à portiques et pont). Le long des allées, des fosses de drainage ont été préalablement creusées et un pendage a été réalisé, à savoir une légère pente dans une strate interne du sous-sol. Les murs sont conçus de manière imperméable ou non pour permettre à l'eau de circuler dans le jardin. Une fois tous ces travaux réalisés, de la « bonne terre » et épandue sur le terrain, elle sert de terre de plantation.

4 bati durféCe site présente un système ingénieux qui a pour but d'organiser la circulation de l'eau dans le jardin, les remaniements adaptent le terrain naturellement trop humide tout en préservant cet atout. Les eaux de la nappe aquifère ne stagnent pas, elles sont guidées par le pendage des sous-sols, et s'évacuent dans le bief ou les douves.


L'apport de l'archéologie dans la connaissance des jardins est indéniable, car les fouilles mettent en évidence des structures maçonnées (mur, bassin, réseau hydraulique), des allées, des traces de labour, des fosses de plantation, ou encore des banquettes de verdure. De plus il est parfois possible d'identifier les végétaux présents lorsque leurs restes sont bien conservés. Lorsque nous constatons le renforcement des allées, toute la technicité liée au drainage, voire l'aménagement d'une nappe phréatique artificielle, nous réalisons l'aspect très technique de la fondation d'un jardin. Les études archéologiques ont permis la découverte d'un savoir-faire en matière de jardin qui n'est pas mentionné dans les textes. Le jardin est « une entité technique, résultante d'un projet et d'une mise en œuvre spécifique»1 conçu pour s'intégrer dans son environnement.

Bibliographie

- ALLIMANT-VERDILLON, Anne, « Les jardins du Palais des Papes, étude historique et archéologique », dans Bulletin de l'académie du Vaucluse, n° 441, 213e année, Juin 2015
- ALLIMANT-VERDILLON, Anne, « L'archéologie appliquée aux jardins : études et projets de restauration », dans Monumental, Archéologie et monuments historiques, semestriel, septembre 2014, p. 72-77
- ALLIMANT-VERDILLON, Anne, « Le jardin médiéval : l'apport de l'archéologie », dans Arts Sacrés, n°30, juillet-août 2014, p.71
- ALLIMANT, Anne, « Archéologie des jardins. Naissance de la problématique », dans Nouvelles de l'Archéologie, n°83/84, Paris, Errance, 2001
- BOURA, Frédérique, « Archéologie des jardins », dans Nouvelles de l'Archéologie, n°83/84, Paris, Errance, 2001

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