Entre Francs et Vikings, les relations sont d’abord conflictuelles. L’Empire carolingien en pleine décomposition après le traité de Verdun (843) n’est pas capable de faire face aux attaques de ces guerriers venus du Nord. Pendant plusieurs décennies, la lutte est féroce. Elle aboutit pourtant, en 911, à la création du duché de Normandie, cédé au viking Rollon par Charles le Simple. Après avoir été parmi les plus terribles adversaires de la Francie, les Normands en deviennent partie intégrante.
Qui sont les Normands ?
Ceux qu’on appelle communément les Vikings étaient en fait désignés par les sources contemporaines comme les Normanni, les hommes du Nord. Si le terme viking était connu au Moyen Âge, il est popularisé bien plus tard. D’autres sources évoquent les Danois, voire les « païens » ou les « étrangers ». A l’est, ce sont les Varègues. Nous utiliserons donc ici le terme « Normands », surtout que nous nous intéresserons principalement aux rapports de ces derniers avec les Francs, rapports d’abord conflictuels mais qui se termineront avec le traité de Saint-Clair-sur-Epte.
Tous ces peuples viennent de Scandinavie, et connaissent des transformations internes à la fin du VIIIe siècle, qui les poussent dans un mouvement d’expansion vers le Sud. Le problème est que les historiens ont longtemps quasiment tout ignoré des détails de ces mutations. Aujourd’hui, on évoque la volonté des rois scandinaves d’affirmer leur autorité sur les chefs locaux, provoquant compétition et exils. A cela, il faut ajouter un développement des échanges et un appétit de richesses croissants. En rien, ils ne sont en tout cas des barbares qui pillent pour le plaisir de piller au contraire de l’image qu’ils ont trainée longtemps. L’Angleterre et le proche Empire carolingien sont les premiers à attirer leur convoitise, après avoir été probablement des partenaires commerciaux.
L’Empire carolingien se délite
La mort de Louis le Pieux, fils de Charlemagne, en 840 confirme les graves problèmes connus par l’Empire carolingien dès les années 820. Une guerre civile éclate entre les trois fils de Louis le Pieux et, en 841, Charles le Chauve et Louis le Germanique sont victorieux de leur frère Lothaire. Un an plus tard, ils signent le serment de Strasbourg, se jurant assistance mutuelle, isolant Lothaire, qui doit accepter le traité de Verdun en 843 : l’Empire est divisé en trois royaumes, dont la Francie occidentale. Les dissensions n’en sont pas pour autant finies, et l’ancien empire de Charlemagne est mûr pour souffrir sous les coups des Normands.
Les premiers raids normands en Francie
C’est néanmoins sous Louis le Pieux, et même dès Charlemagne, que les Francs commencent à faire connaissance avec les Normands. D’abord sous la forme de raids de faible ampleur, effectué surtout par des Danois. Leurs bateaux originaux mais redoutables permettent aux Normands de caboter et de remonter les fleuves très facilement, et d’être insaisissables. En 799, une centaine de Normands sont tués par la défense locale près de Noirmoutier. Puis, en 820, ils s’attaquent à la Flandre et à l’embouchure de la Seine avant d’attaquer à nouveau la Vendée dans les années 830. La Francie est cependant moins touchée à cette époque que les Îles britanniques et l’Irlande.
Les années 840 semblent être un tournant. Les attaques sont conduites par bien plus de navires et de combattants, et contre des cibles multiples, simultanément. De plus, les Normands ne se contentent plus de piller et de partir, ils restent plus longtemps sur place, pénètrent plus loin dans les terres. On les voit par exemple hiverner dans la basse vallée de la Seine au début des années 850.
Plusieurs grandes villes ou leurs alentours sont touchées par ces raids : Nantes (843), Toulouse (844), Paris (845),…En 848, ils assiègent Bordeaux. Les vallées de la Loire et de la Seine sont en permanence sous la menace de pilleurs normands. Les pouvoirs commencent alors à tenter d’acheter la paix, en payant tribut, et même à proposer aux Normands de s’engager comme mercenaires dans les guerres civiles qui frappent l’ancien empire.
L’apogée des raids normands et le siège de Paris
Entre 856 et 862, les raids se font plus pressants encore. Installés sur l’île d’Oissel, les Vikings s’attaquent à Saint-Denis, et font prisonnier l’abbé Louis, cousin du roi et petit-fils de Charlemagne ! Charles le Chauve doit payer une énorme rançon, qui l’affaiblit encore dans un contexte déjà difficile pour lui. La politique des tributs continue jusqu’à la fin du IXe siècle, pour contenir les raids normands, sans grand succès, à part la levée du siège d’Angers en 873.
En effet, la mort de Louis le Bègue, fils de Charles, en 879, créé une nouvelle crise majeure au sein de l’ancien empire de Charlemagne. Les Normands sont désormais bien ancrés en Basse-Seine, et ils font le siège de Paris en 885. La ville résiste tant bien que mal durant un an, défendue par Eudes. Il faut l’arrivée de Charles le Gros pour qu’un accord soit trouvé et la ville enfin libérée en 887, une nouvelle fois contre tribut. Les Normands s’en retournent tranquillement dans la vallée de l’Escaut.
La création du duché de Normandie
Un an après la fin du siège de Paris, son défenseur Eudes devient roi de Francie occidentale, ouvrant la dynastie des Robertiens. Il continue à combattre les Normands, sur lesquels il remporte quelques victoires, débarrassant la vallée de la Seine de leur présence en 889. Mais il préfère au bout du compte faire comme ses prédécesseurs et leur payer tribut. Il est de toute façon un roi contesté, jusqu’à sa mort en 898. Quant aux Normands, pour l’essentiel, ils décident de se concentrer sur l’Angleterre.
Le successeur d’Eudes, Charles le Simple, a été sacré dès 893 par les ennemis du roi franc en place. A son arrivée effective sur le trône, il doit à son tour affronter les raids normands. En 911, Charles libère Chartres de la menace normande et, en position de force, décide de négocier avec l’un de leurs chefs, un certain Rollon. Le traité de Saint-Clair-sur-Epte est signé à l’automne 911 : les Normands peuvent demeurer dans une région strictement délimitée, mais doivent assistance au roi franc, et se convertir au christianisme. Le traité confirme un mouvement de rapprochement entre Normands et pouvoirs francs et une volonté d’intégration commencés dès les années 850, malgré les pillages.
Ceux qui ne s’installent pas en Normandie (des Danois et des Norvégiens) concentrent leurs efforts sur les Îles britanniques, tandis que les Suédois prennent la route de l’Orient. Les Francs, eux, vont intégrer leurs Normands pour en faire l’un des éléments les plus importants et les plus puissants du royaume de France dans les siècles suivants. Mieux encore, de l’Angleterre à la Méditerranée, l’aventure des Normands ne faisait que commencer…
Bibliographie
- F. Neveux, L’aventure des Normands, Perrin, 2006.
- Y. Cohat, Les Vikings, rois des mers, Gallimard, 1987.
- G. Bührer-Thierry, C. Mériaux, La France avant la France (481-888), Belin, 2011.
- J. Haywood, Atlas des Vikings (789-1100), Autrement, 1996.
- C. Gauvard, La France au Moyen Âge du Ve au XVe siècle, PUF, 2005.
- Les Normands : de la Normandie au royaume de Sicile, Histoire antique & médiévale, no28H, août 2011.
Pour aller plus loin
- P. Bauduin, Le monde franc et les Vikings (VIIIe-Xe siècle), Albin Michel, 2009.