Pont de l'Arche, le pont fortifié de Charles le Chauve

Histoire de France | Des Carolingiens aux Capétiens

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En juin 861, Charles le Chauve (823, †877) convoque le plaid général annuel en la villa royale de Pîtres, demandant aux grands de venir accompagnés d'ouvriers et de chars. Il donne alors ordre de commencer la construction d'un pont fortifié enjambant les cours de la Seine et de l'Eure afin de barrer la route aux flottes vikings qui infestent la vallée. Commence alors un des plus grands chantiers de l'époque qui dura près de dix ans et mobilisa une énorme main-d'œuvre.

 

Les incursions vikings dans la basse vallée de la Seine

La première apparition d'une flotte viking en Neustrie date de l'année 820. Entrant dans l'estuaire de la Seine, elle rencontre les gardes de la défense côtière mise en place par Charlemagne dans les ports et à l'embouchure des fleuves. Le combat s'engage ; les Vikings perdent des hommes et rebroussent chemin. Cette défense côtière protège les terres de Francie jusqu'à la mort de Louis le Pieux (778, † 849).

En 841, les Vikings, menés par un chef nommé Oscherus d'après la Chronique de Fontenelle – Ásgeirr en norrois - , investissent de nouveau la basse vallée de la Seine, sans rencontrer de résistance. Ils mettent à sac Rouen, pillent l'abbaye de Saint-Ouen, dévastent l'abbaye de Jumièges et épargnent St Wandrille de Fontenelle contre le paiement de six mille livres d'or.

Quatre années plus tard, en 845, une seconde incursion a lieu. Cent vingt navires menés par Ragnarr aux Braies Velues - Ragnar Lodbrok - accostent à Rouen. Ils brûlent le monastère de la Celle, puis ils gagnent les faubourgs de Paris où ils dévastent les monastères de Sainte-Geneviève et de Saint-Germain, alors que le roi Charles le Chauve, impuissant, s'est réfugié à Saint-Denis. Ce dernier finit par acheter le départ des Vikings contre la somme de sept mille livres d'argent.

En 851 et 852, de nouvelles flottes entrent dans la Seine, pillent l'abbaye de Saint Wandrille de Fontenelle et, pour la première fois, hivernent sur place, sans doute dans l'île de Jeufosse – Fossa Givaldi. En 855, Sydroc remonte la Seine jusqu'à Pîtres. Il est rejoint par une autre flotte, commandée par le chef viking Björn Côtes de Fer - Björn Járnsíða - , l'un des quatre fils de Ragnarr aux Braies Velues. Rouen est de nouveau mise à sac. Les deux armées s'établissent sur l'île d'Oscellus – Oissel en amont de Rouen, actuelle île Sainte-Catherine, que les Vikings renomment Þorhólmr, l'îlot de Þórr – et, de cette base, ils ravagent les deux rives de la Seine, poussant jusqu'au Perche et Chartres. Décembre 856, ils sont sous les murs de Paris.

En 858, Hásteinn se présente à l'embouchure de la Dives, pénètre dans la ville de Chartres le 12 juin et pille la cathédrale. L'évêque meurt en fuyant, emporté par le cours de l'Eure qu'il cherche à traverser. Dans la même année, Bayeux est également dévastée, son évêque égorgé. En pleines fêtes de Pâques, Louis, abbé de Saint-Denis, archichapelain du roi Charles le Chauve, est capturé avec son demi-frère Gauzlin, futur évêque de Paris. Tous deux ne sont libérés que contre une forte rançon.

Juillet 858, Charles le Chauve, secondé par son neveu Lothaire II, met le siège devant l'île d'Oissel, afin d'en déloger les Vikings qui infestent son royaume. Mais, il doit renoncer au bout de trois mois, car son frère Louis le Germanique en a profité pour pénétrer dans son royaume, avec l'intention de le détrôner. En 860, alors que les Vikings d'Hásteinn ont pour la troisième fois attaqué Paris, Charles le Chauve promet au mercenaire viking Völundr la somme de trois mille livres s'il parvient à chasser Hásteinn et ses alliés de l'île d'Oissel. Völundr accepte le marché.

En 861, il stationne au niveau de la villa de Pîtres lorsqu'il reçoit l'argent de Charles. Pour établir le blocus de l'île, certains de ces bateaux remontent l'Andelle, puis ceux-ci sont hâlés sur quelques kilomètres de terre ferme avant d'être remis à flot, prenant ainsi de revers les assiégés. Bientôt, ceux-ci, affamés, négocient avec leurs attaquants. Ils versent à leur tour six mille livres d'or et d'argent à Völundr pour qu'il les laisse aller.

Le pont fortifié de l'Arche

L'année suivante, Charles le Chauve décide la construction du pont fortifié sur la Seine. D'autres sont également bâtis, l'un sur la Marne à Trilbardou, un second sur la Seine au niveau de Paris, resté d'ailleurs inachevé lors du siège de 885. Les travaux durent dix années. Chaque grand se voit assigner une section du pont à construire, pour laquelle il doit fournir les ouvriers et matériaux nécessaires. Des chars avec des bœufs ainsi que de jeunes « esteaudeaux » - jeune serf ou vassal non marié – doivent aussi être amenés, les esteaudeaux devant tenir garnison pour défendre le pont.

Le pont est construit en pierre et en bois. A chacune de ses extrémités s'élève un ouvrage fortifié – un castellum -, dont le rôle est de protéger les entrées du pont et aussi d'abriter les garnisons chargées de sa défense. Ces ouvrages sont en pierre tandis que le pont lui-même, ses piliers, son tablier et les crénelages des fortifications sont en bois. Le pont s'élève au travers des cours de la Seine et de l'Eure, au point de rencontre des deux cours d'eau.

Sur la rive gauche, le châtelet se dresse à hauteur de l'actuelle ville de Pont-de-l'Arche, là où se trouvait a priori un port, Portus Devenna, avec ses maisons, ses passeurs convoyant des bacs d'une rive à l'autre, ses pêcheurs et ses auberges. Sur la rive droite, l'autre tour se dresse aux alentours de la commune d'Igoville, au lieu-dit Limaie. C'est à cet endroit qu'aboutissent la voie antique menant au Vieil-Evreux et, par ailleurs, la voie allant jusqu'au domaine royal de Pîtres.

Dans son article [4], en observant la topographie du bourg de Pont-de-l'Arche, Jacques le Maho suggère que le village carolingien prenait place au niveau de l'actuelle église paroissiale, Saint-Pierre. La rue circulaire entourant l'église rappelle l'enceinte de l'ancien bourg et du châtelet, avec deux portes, respectivement situées à l'est et à l'ouest. Le châtelet s'élevait sans doute, au centre de cette enceinte, à hauteur de l'actuelle église, qui alors n'était qu'un simple oratoire pour les voyageurs.

Sur l'autre rive, Philippe Auguste fit sans doute construire le fort de Limaie à l'emplacement du châtelet carolingien. La chapelle Saint-Etienne de ce fort aurait également pour origine un oratoire carolingien accolé à l'entrée du pont fortifié, exactement selon la même disposition que sur l'autre rive.

Le devenir du Pont de l'Arche

En 865, une flotte viking s'échoue devant le pont en construction. Le roi, n'osant forcer les assaillants dans leurs retranchements, fait fortifier les rivières en amont, l'Oise à Auvers, la Seine et la Marne à Charenton. Les Vikings attaquent cependant Chartres, Paris, puis ils pillent l'abbaye de Saint-Denis. Ils reprennent la mer en juillet 866, contre le versement d'un tribut de quatre mille livres. En 876, une nouvelle flotte pénètre dans la vallée de la Seine et se heurte au pont qu'elle tente en vain de prendre. Les Vikings ravagent la région, contraignant l'archevêque de Rouen à la fuite. Une nouvelle fois, Charles le Chauve achète leur départ contra la somme de cinq mille livres.

Il n'y a pas d'autres menaces avant l'année 885, ce qui tend à montrer l'efficacité du pont. Cette année-là, une armée viking stationnée à Louvain se dirige à pied vers Rouen, pourchassée par les troupes du roi Charles le Gros (839, † 888). Elle entre dans la ville le 25 juillet et, utilisant les bateaux amarrés sur place, elle franchit la Seine et se retranche sur la rive droite, dans l'attente de renfort venant par le fleuve, depuis l'Escaut et l'Angleterre. La jonction faite, cette armée vient s'établir à un kilomètre environ du pont fortifié, dans la localité dite des Damps. Les Vikings fortifient leur position, entourant leur camp d'une haute butte de terre circulaire.

Les soldats de Charles le Gros reçoivent eux aussi du renfort, des troupes franques et bourguignonnes menées par le duc Ragenold. Ce dernier décide d'attaquer le campement des Vikings, à l'aube, alors qu'il semble que ceux-ci dorment. Les Francs chevauchent, s'élancent dans le camp ; les Vikings qui, couchés à terre, font semblant de dormir, se relèvent et massacrent tous ceux qui sont à leur portée. Ragenold est tué ; le reste de l'armée fuit. Les Vikings quittent leur camp, prennent le pont et le livrent aux flammes. Puis, ils s'embarquent pour Paris, mettre le siège devant la ville jusqu'à l'automne 886, après avoir pris Pontoise.

Le pont de l'Arche ne sera pas relevé. Il aura permis une accalmie d'une dizaine d'années dans la longue série des incursions vikings via le cours de la Seine.

Bibliographie

Jean Renaud, les Vikings en France, Editions Ouest France.

• [4] Jacques Le Maho, « Un grand ouvrage royal du IXe siècle : le pont fortifié dit « de Pîtres » à Pont-de-l'Arche (Eure), Des châteaux et des sources : archéologie et histoire dans la Normandie médiévale : mélanges en l'honneur d'Anne-Marie Flambard Héricher, Bruno Lepeuple, Jean-Louis Roch, 1 janvier 2008, Publication Université Rouen Havre
• Laurent Theis, Charles le Chauve: L'empire des Francs. Gallimard, 2021

 

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