La nécessité de la création d'un impôt sur le revenu en France naît dès la fin du XVIIe siècle. En la matière, deux grands personnages Vauban (au Grand Siècle) et Turgot (au Siècle des Lumières) furent chacun des précurseurs ou visionnaires. Proches de leurs rois, ils auraient pu profiter du système, mais leurs idées étaient de faire des économies en faveur du royaume, de pousser à entreprendre et à commercer et surtout de répartir les charges fiscales sur toute la population, ce qui était contraire aux lois fondamentales du royaume.
Vauban, économiste et penseur politique
De par sa fonction d'ingénieur, Vauban (1633-1707) après avoir tant voyagé (près de 180 000 kms et le plus souvent à cheval) avait une bonne idée du territoire français et une vision assez juste des problèmes du pays, accumulant une masse d'impression, de notes et de renseignements précis sur les provinces. N'étant pas de grande naissance, il rêve d'une noblesse d'Etat, fondée sur le mérite et non sur la naissance, favorisant les personnes intelligentes et efficaces.
Vers 1684, il fait un état de la France, au moment où la guerre de la Ligue d'Augsbourg se déclenche. Il estime que des réformes doivent être réalisées, car comme il écrit « il ne faut pas flatter, le dedans du royaume est ruiné, tout souffre, tout pâtit et tout gémit ». A partir de 1703, il met en ordre tous ses brouillons, réalise des enquêtes, avec toujours le même but : enrichir le royaume. Dans un de ses ouvrages, il insiste et « dénonce la pauvreté de 60 % de la population, 30 % est mal aisée et seulement 10% de la population est à son aise » ; « la partie supérieure écrase l'inférieure en France, l'une possède tous les biens, les mange et dissipe en superfluités, et l'autre meurt de faim et de misère ».
Pour les colonies d'Amérique, il mentionne qu'elles n'ont de valeur que si elles se peuplent, prévoyant même que la Nouvelle France, notre Canada actuel, comptera 26 millions d'habitants en 1970 ! Ce qui finalement sera le cas.
Le projet de Dîme royale
Le peuple étant très important pour lui, il s'y attache et essaye de trouver des solutions pour alléger ses souffrances, le rendre plus heureux tout en augmentant les revenus du roi. Il rédige son dernier mémoire, qui sera imprimé de son vivant « si la Dîme royale pouvait avoir lieu ». Les impôts étant légion, il faut toujours en trouver d'autres. Il estime qu'il faut « aplatir » les Trois ordres, au nom de la justice sociale, de l'équité pour la prospérité future de la France. Tous les impôts directs seraient remplacés par un impôt unique ; la gabelle serait réduite de moitié ; la dîme royale serait proportionnelle au revenu, les ordres privilégiés n'en étant pas exemptés. Il en informe le roi et lui lit des passages.
Son ouvrage « La Dîme » est imprimé de manière clandestine en 300 exemplaires, diffusé à ses amis et relations proches du roi. Mais le manuscrit sera condamné peu avant la mort de Vauban en 1707, par les Censeurs du Conseil privé du Roi, au motif d'allant à l'encontre de la politique monarchique s'il est diffusé en public.
Il sera tout de même connu dans l'Europe entière et aura une grande postérité. Pourtant, en 1710, le « dixième » fut mis en place, mais sera désastreux, car les autres impôts ne seront pas supprimés.
Après Vauban et Louis XIV, le problème fiscal sera la préoccupation constante de Louis XV et Louis XVI, aboutissant malheureusement à la fin de la monarchie, 80 ans après les écrits de notre grand ingénieur, économiste et penseur politique.
Turgot, défenseur du libéralisme économique et politique
Louis XVI, après être monté sur le trône, veut gouverner seul comme son aïeul, sans Premier Ministre, mais assisté d'un homme de confiance en la personne du Comte de Maurepas. Ce dernier fait entrer Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781) au gouvernement, au portefeuille de la Marine.
Turgot est destiné à l'Eglise, mais s'intéresse plus aux problèmes économiques et participe à l'Encyclopédie. Homme de réflexion, animé par la volonté de réaliser des économies et fourmillant d'idées novatrices, il est adepte de la liberté d'entreprendre. A l'âge de 34 ans, il s'exerce dans la généralité de Limoges, encourage la construction de routes, d'ateliers de charité, implante une industrie textile, établit un tarif de la taille proportionnellement au loyer et à la valeur des terres, remplace la corvée par une taxe répartie sur la population.
Dans ses écrits, il prône le libéralisme économique et politique, défendant la liberté individuelle et l'inviolation de la propriété privée. Après son passage éclair à la Marine, il prend le poste de Contrôleur Général des Finances en août 1774. Lors de son entretien avec le roi, il lui explique franchement ses idées « point de banqueroute, point d'augmentation d'impôts, point d'emprunts ».
Turgot veut assainir les finances pour ramener la dépense au-dessous de la recette, en économisant 20 millions de livres par an. Il propose des économies draconiennes comme la diminution des frais de tous les ministères, les dépenses devant être approuvées au préalable par le contrôleur ; il prône pour la réduction des dépenses de la Maison du Roi qui représentent une somme supérieure au déficit de l'Etat ; il réduit de lui-même son salaire de presque la moitié...mais ne peut malheureusement rien en ce qui concerne les dépenses de la Reine.
Un impôt universel sur les revenus ?
Il veut améliorer les recettes. L'essentiel des charges fiscales repose sur l'agriculture, un non-sens pour Turgot qui écrit « c'est toujours la terre qui est la première et unique source de toute richesse, l'agriculture est le seul moyen d'augmenter les recettes de l'Etat ». Dans l'esprit des idées de Vauban, le Contrôleur Général des finances souhaite une réforme fiscale qui répartirait les charges sur toute la population, sans privilège pour la noblesse et la bourgeoisie. Il est partisan de la liberté d'entreprendre, la liberté de commercer et fait adopter une loi « de liberté du commerce intérieur du grain et de liberté d'importer les céréales étrangères ». Il sait qu'il a contre lui les spéculateurs et s'attend à une hausse du prix du blé. Pour conséquence, c'est bientôt la « guerre des farines » où les marchands font de tels stocks que les prix augmentent.
En 1776, il propose six décrets : suppression de la corvée royale ; instauration d'un impôt payé par les propriétaires pour réfection des routes, qui était au préalable à la charge des paysans ; abolition des privilèges et soumission des Trois ordres à taxation ; suppression des jurandes et maitrises pour que chaque homme ait droit au travail sans restriction. Mais il en résulte la haine de la noblesse et du Parlement.
Il continue pourtant ses réformes, car il croit en le Roi, avec la laïcisation de l'enseignement et l'assistance publique ; le rachat des droits seigneuriaux ; l'instauration d'un impôt foncier avec révision générale du cadastre ; la création de municipalité gérant l'ensemble des problèmes d'intérêt local, qui éliraient des assemblées cantonales et provinciales, ce qui revient à bouleverser les lois fondamentales du royaume.
Il ne pourra aller plus loin, il ne pourra rien pour le royaume ni pour la monarchie qu'il sent en difficulté, voire en danger. C'en est trop : Louis XVI ne lui fait plus confiance, l'accusant de vouloir tout régenter, tout diriger, il va jusqu'à dire « Monsieur Turgot veut être moi, et je ne veux pas qu'il soit moi ». Turgot envoie une ultime lettre au roi « n'oubliez jamais, Sire, que c'est la faiblesse qui a mis la tête de Charles Ier (d'Angleterre) sur un billot... » En mai 1776, il est limogé et prié de quitter Versailles et la Cour. Fidèle à ses idées, Turgot refuse la pension accordée par Louis XVI « je ne dois pas donner l'exemple d'être à la charge de l'Etat ».
Ces deux grands personnages Vauban et Turgot, étaient vraiment des visionnaires. Une grande partie de leurs idées furent reprises quelques centaines d'années plus tard et les difficultés sont toujours les mêmes, l'Etat n'ayant toujours pas assez de recettes et toujours plus de dépenses !
Bibliographie
- Histoire de l'impôt, d' André Neurisse. PUF, 1978.
- Vauban, l'inventeur de la France moderne, de Dominique Le Brun. Vuibert, 2016.
- Turgot ou le Mythe des réformes, de Lucien laugier. Albatros, 1979.