Charles V, dit le Sage, a été roi de France de 1364 à 1380 durant les heures sombres de la guerre de Cent ans. Fils de Jean II le Bon, il devient régent du royaume pendant la détention de son père en Angleterre. Il doit alors faire face à des révoltes paysannes (les jacqueries), à un soulèvement parisien conduit par le prévôt des marchands Etienne Marcel et doit lutter contre les prétentions de Charles le Mauvais, roi de Navarre. Devant ces multiples périls, il doit négocier avec l'Angleterre le traité de Brétigny (1360) au prix de grosses pertes territoriales. Devenu roi, bien secondé par le connétable Du Guesclin, il impose le retour à la paix, restaure l'autorité royale et parvient à reprendre aux anglais la quasi-totalité de leurs possessions continentales. Charles V est considéré comme l'un des "grands" rois de France.
Début de règne difficile pour Charles V
Né à Vincennes le 21 janvier 1338, le futur Charles V est le fils aîné de Jean II le Bon et de Bonne de Luxembourg. Il fut le premier héritier au trône de France à porter le titre de dauphin (1349). Devenu régent du royaume après que Jean II fut fait prisonnier par les Anglais à la bataille de Poitiers (1356), à laquelle il participa, il dut faire face, en 1358, à la révolte parisienne, dirigée par Étienne Marcel, et à la jacquerie.
Dans ce contexte catastrophique, il est contraint de négocier avec les anglais le traité de Brétigny (1360). Ce dernier ampute le domaine royal du sud-ouest et de plusieurs territoires du nord, mais il n’apporte pas la paix, des bandes de routiers désoeuvrés ou impayés dévastant le royaume.
Après la mort de son père Jean II le 8 avril 1364, sa légitimité est contestée aussi bien par les anglais que par les partisans de son opposant Charles le Mauvais. Ce dernier est défait par Du Guesclin à la bataille de Cocherel, qui scelle l’acte de naissance du règne de Charles V ainsi que la pérennité de la dynastie des Valois. Le nouveau roi peut donc être sacré à Reims le 19 mai 1364.
Charles V, premier roi “Très Chrétien”
De santé précaire et d’un physique ingrat, le nouveau roi est un sage. Ses panégyristes, à commencer par Christine de Pisan, décrivent abondamment la modération de son comportement, la qualité de ses vertus, son goût pour les lettres et les arts. Il aime discuter avec les théoriciens de la vie politique comme Nicolas Oresme, Philippe de Mézières et Raoul de Presles.
Parvenu au fait de sa puissance, en 1376, il demande à un juriste, Évrard de Tremaugon, de rédiger le Songe du verger, véritable théorie de l’Etat présentée sous la forme d’un dialogue entre un clerc et un chevalier. D’abord en latin, l’ouvrage est traduit en français. Ce souci de vulgarisation incite le roi à commander de nombreuses traductions des auteurs antiques, qu’il s’agisse de la Politique d’Aristote ou de la Cité de Dieu de saint Augustin.
Pour mener à bien sa politique, il s’inspire de ces principes qui obligent le monarque à gouverner selon la raison pour le commun profit. Outre ces « lois naturelles » qui régissent le « corps de policie », le roi obéit aux devoirs que lui impose le serment du sacre. Plus que ses prédécesseurs, Charles V est sensible à ses responsabilités religieuses : il est le premier roi de France à être appelé Très Chrétien. D’ailleurs, il demande à un carme, Jean Golein, d’écrire un traité pour magnifier la cérémonie du sacre ainsi que le pouvoir thaumaturgique du roi.
La piété de Charles V règle toutes ses actions politiques, ce qui ne l’empêche pas d’être ferme dans ses rapports avec le pape ou les évêques. Autoritaire, il est aussi procédurier, et ses adversaires l’appellent l’ « avocat ». En fait, il sait parfaitement user des ressources d’une propagande qui lui permet de s’adresser à l’opinion publique naissante. Il sait également s’entourer de conseillers compétents, issus pour la plupart du Parlement et formés au droit canon ou civil.
Un monarque bien entouré
Ces hommes, tels les chanceliers Guillaume de Dormans et Pierre d’Orgemont, Hugues Aubriot, prévôt de Paris, le connétable Bertrand, du Guesclin ou l’amiral Jean de Vienne, puis, à la fin du règne, Bureau de La Rivière, ont déjà le sentiment d’appartenir à un corps au service de l’État. S’y ajoutent les généraux conseillers sur le fait des aides, qui s’occupent de la levée de l’impôt prévu depuis 1360.
Dans les bailliages et sénéchaussées, de nombreux officiers répercutent les ordres, rendent la justice, tandis que receveurs et élus sont chargés de percevoir l’impôt, qui fait encore partie des finances extraordinaires.
En développant partout la présence du roi et celle de l’État, ces officiers créent l’unité de la nation. Seules résistent les principautés, qu’elles soient anciennes comme la Bretagne ou le comté de Foix, ou nouvelles comme celles que les frères du roi reçoivent en apanage. Ces grands princes sont aussi nommés lieutenants généraux dans des parties du royaume où ils exercent tous les pouvoirs. C’est moins là un signe de faiblesse qu’une forme de pouvoir qui continue à donner à la famille royale proche un rôle essentiel dans le gouvernement. La force des liens du sang est aussi importante dans les faits et dans la pensée politique que la sagesse du roi et l’obéissance de ses officiers.
Le temps de la reconquête
Jusqu’en 1367, même si le montant de la rançon est versé avec lenteur, le traité de Calais est normalement appliqué. Les deux souverains tentent de liquider les routiers et s’affrontent par « personnes interposées ». L’avantage semble être du côté anglais. En Bretagne, Jean IV de Montfort élimine à Auray, en 1364, le candidat du roi de France, Charles de Blois. En Espagne, le Prince Noir est victorieux à Najera en 1367. Dans les deux cas, du Guesclin est fait prisonnier. Mais reste le litigieux problème de souveraineté qu’impliquent les renonciations du traité de Calais, qui n’ont pas encore été échangées.
Qui est souverain en Guyenne que le Prince Noir gouverne ? Le prince en développe l’administration et, pour payer ses troupes, demande aux états de nouvelles impositions. La noblesse gasconne, nombreuse et peu docile, invoque ses « franchises ». Les liens du sang qui unissent la maison d’Albret à Charles V font le reste. Les appels commencent, adressés avec une parfaite duplicité au roi d’Angleterre et, secrètement, au roi de France. L’affaire, aux mains des juristes, aboutit le 8 septembre 1368 à un appel public à Charles V. Un an plus tard, Édouard III ayant repris son titre de roi de France et le « fief » de Guyenne lui ayant été « confisqué », la guerre reprend.
Mais cette fois, l’avantage est à la France, qui a transformé le recrutement de son armée et adopté une nouvelle stratégie. Aux batailles, du Guesclin, nommé connétable en 1370, préfère la petite offensive qui progresse par sauts de puce de ville en ville et de château en château. À l’arrière, la technique de la terre brûlée coupe la route à l’ennemi et rend inutile les grandes chevauchées.
Tactique de routiers ! Le succès suit. Il est autant dû à la motivation de troupes bien payées qu’aux fortifications que villes et villages ont construites pour se protéger. En quatre ans, le roi d’Angleterre a tout perdu, sauf Calais, Bayonne et Bordeaux, tandis que Charles le Mauvais doit abandonner en 1378 ses possessions normandes. Seule la Bretagne, soulevée contre le roi de France, reste à Jean IV.
Le temps des révoltes
L’impôt, reconduit d’année en année, est, dans les faits, devenu permanent. Les hommes, moins nombreux et « trempés » par l’épreuve, font face. On peut même parler d’une reprise de l’économie paysanne, qui récupère des sols momentanément gagnés par les friches. Les rescapés de la crise du milieu du XIVe siècle vivent mieux. Mais cette reconstruction à éclipses porte immédiatement ses fruits démographiques : la mort recule et le nombre des hommes augmente. La crise menace vite de reprendre. C’est le cas dans le midi de la France dès 1375, quand se conjuguent mauvaises récoltes, famines et épidémies.
À la campagne comme en ville sévit une paupérisation qui accentue les mouvements de population et gonfle le marché du travail. La révolte gronde, comme celle des Tuchins qui dès 1363 agite l’Auvergne. Entre 1378 et 1382, le mouvement fait tache d’huile, s’étend à l’ensemble de l’Europe sans qu’il semble y avoir eu de contact entre les différents foyers de révolte.
Les insurgés, petit peuple que vient renforcer le groupe des marginaux, des « vagabonds », n’ont pas de programme. Ils veulent la suppression des impôts. La décision de supprimer les fouages que Charles V prend le 16 septembre 1380 sur son lit de mort accroît l’agitation.
L'héritage de Charles V
Malgré tout, Charles V avait veillé sur la convalescence du royaume; il avait renforcé l’autorité royale et rétabli la monnaie. On doit à Charles V d'heureuses réformes financières, l'extension des privilèges de l'Université, la construction ou l'embellissement de plusieurs palais (hôtel Saint-Pol, Louvre, etc.). Charles V fonda la Bibliothèque royale (future Bilbiothèque nationale) en 1367, qui réunira une importante collection de manuscrits. Dépourvu de tout fanatisme religieux, il protégea les Juifs et s’efforça de freiner les activités de l’Inquisition dans le Languedoc. A la fin de sa vie, il contribua à l’ouverture du Grand Schisme en reconnaissant, contre Urbain VI, l’antipape Clément VII.
Marié en 1350 à sa cousine Jeanne de Bourbon, Charles V eut pour successeur son fils, Charles VI. Le règne de ce dernier ruinera l'oeuvre politique de son père, et le royaume sera de nouveau plongé dans les affres de la guerre de Cent ans.
Bibliographie
- Charles V le Sage, de Georges Bordonove. Pygmalion, 2012.
- Charles V le Sage: Dauphin, duc et régent (1338-1358), de François Sarindar. L'Harmattan, 2019.
- La guerre de Cent ans, de Georges Minois. Tempus, 2016.