historioL’historiographie, et ses multiples définitions, est devenue incontournable dans l’approche de l’histoire aujourd’hui. Tout historien s’interroge sur sa science et son travail, et de plus en plus sur l’usage public qui est fait de l’histoire. En effet, d’internet aux lois mémorielles, en passant par l’exploitation politique de figures ou d’événements historiques, l’histoire n’appartient pas uniquement à l’historien. De plus, c’est une science qui connaît de nombreuses mutations, avec l’émergence de la world history, de l’histoire du genre ou des Postcolonial Studies. L’ouvrage de Nicolas Offenstadt, L’historiographie (PUF, coll. Que sais-je ?), vient mettre à jour ces évolutions.


Définition(s) de l’historiographie

Dans son introduction, Nicolas Offenstadt revient sur la définition de l’historiographie dans le précédent Que sais-je sur le sujet, publié en 1981. L’auteur, Charles-Olivier Carbonell, définissait ainsi son sujet : « l’histoire du discours […] que les hommes ont tenu sur le passé, sur leur passé ». Un autre ouvrage contemporain, écrit par G. Bourdé et H. Martin, parlait de « l’examen des différents discours de la méthode historique et des différents modes d’écriture de l’histoire ». On peut parler de définitions canoniques, et N. Offenstadt veut les dépasser.

Il insiste pour cela sur la nécessité de parler des « pratiques », pas uniquement des discours, et de « situer les historiens dans leur temps ». En effet, l’usage public de l’histoire s’est démocratisé depuis les années 80, avec « la multiplication des producteurs d’histoire », poussant l’historien « à se dé-construire lui-même ». D’ailleurs, l’historiographie en tant que réflexion sur l’histoire par des historiens est devenue « un champ particulier de la discipline histoire [dans plusieurs pays] ».

N. Offenstadt propose donc de voir l’historiographie comme une discipline qui « s’intéresse aujourd’hui aux historiens, à leur conception de l’histoire, à leur méthode, et à leur production, ainsi qu’aux usages de l’histoire ». Son ouvrage se concentre sur « l’historiographie de l’histoire en tant que discipline avec ses règles et ses méthodes, même disputées et discutées », sans oublier « d’évoquer ce que fut l’écriture du passé avant d’être métier et discipline […] ».

L’historiographie par N. Offenstadt

L’auteur découpe son Que sais-je ? en huit chapitres. Les six premiers sont, au premier abord, classiques mais N. Offenstadt y ajoute nombre de réflexions nouvelles, dans la lignée de ses autres ouvrages ou de son activité au CVUH. C’est encore plus le cas dans les deux derniers.

Le premier chapitre traite du rapport entre « les historiens et le temps », ce dernier étant « objet de travail [et] question méthodologique ». C’est tout d’abord « le temps des acteurs », avec par exemple « les régimes d’historicité », puis le « temps de l’historien » lui-même, avec la question du découpage du temps (on connaît les débats sur l’usage de la chronologie à l’école), et des « temporalités multiples » où évidemment l’auteur évoque Fernand Braudel.

Le second chapitre, « les historiens, les documents et leur critique », s’intéresse au cœur du métier : le rapport aux sources. Il faut les « collecter et [les] critiquer », tout en s’adaptant à l’apparition de nouveaux types de sources, ou à une sorte d’explosion documentaire grâce aux nouvelles technologies.

Le chapitre III aborde un débat récurrent : l’histoire est-elle une science ? Nous sommes ici dans ce à quoi nous sommes habitués dans les ouvrages sur l’historiographie : le scientisme, Marx,…Mais la partie sur « la naissance du Métier » apporte un plus certain, tout comme la réflexion sur la neutralité de la science historique et « la construction du roman national ».

Le quatrième chapitre est l’un des plus intéressants. Il pose la question de l’écriture de l’histoire (avec, entre autres, le fameux cas Michelet, mais aussi Marrou et Duby), et de la place du récit, « construction de l’historien ». La référence principale est ici, évidemment, Paul Veyne.

A travers l’exemple des Annales, puis de leur postérité, et poussant jusqu’aux rapports entre les historiens et Bourdieu, N. Offenstadt s’interroge dans le cinquième chapitre sur les liens entre l’histoire et les sciences sociales, particulièrement la sociologie. Où l’on voit que nous sommes de plus en plus dans l’interdisciplinarité.

Le sixième chapitre, « Découper et classer : les échelles et les catégories des historiens », entre plus précisément dans le Métier, et dans les questionnements sur les catégories apportés par « le tourbillon Foucault ». C’est ici aussi que N. Offenstadt évoque l’histoire du genre, l’histoire globale, la micro-histoire et les Postcolonial et Subaltern Studies.

Les deux derniers chapitres s’inscrivent plus spécifiquement dans la lignée d’autres ouvrages de N. Offenstadt. D’abord, un « zoom (sic)» sur l’histoire de la guerre (et de la paix), et plus largement de la violence (avec, par exemple, les travaux de Claude Gauvard, qui fut sa directrice de thèse). Enfin, le chapitre « Mémoires, luttes et histoires » est à ramener à ce que fait N. Offenstadt dans le cadre, entre autres, du CVUH. Ce sont ici des interrogations fondamentales sur les rapports entre mémoire et histoire, la critique du roman national ou l’historien et l’engagement.

L’avis d’Histoire pour tous

A l’instar des autres Que sais-je ?, l’ouvrage de N. Offenstadt est synthétique mais dense, tout en étant clair et facilement abordable. Il est une parfaite introduction à l’historiographie, avant d’aller chercher plus loin encore, comme l’auteur nous y invite dans une bibliographie à saluer. L’idéal est d’utiliser L’historiographie en parallèle avec les deux tomes auxquels a participé N. Offenstadt (en collaboration avec C. Delacroix, F. Dosse et P. Garcia) : Historiographies. Concepts et débats.

- N. Offenstadt, L’historiographie, PUF, coll. Que sais-je ?, 2011, 127 p.

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