La Bataille d’Anghiari est une œuvre atypique de Léonard de Vinci dont on ne connaît pour ainsi dire rien si ce n’est quelques dessins préparatoires. Réalisée au tout début du XVIe siècle cette scène guerrière fut envisagée par Léonard comme un prétexte à une mise en image de l’animalité et de la férocité des instincts humains quand l’individu est lâché dans la mêlée de la bataille. Pourtant si ses dessins laissent présager un chef d’œuvre la réalisation de la fresque fut un fiasco complet, elle ne fut jamais terminée et très certainement effacée. Quoique…
La Bataille d’Anghiari : un échec technique
En 1503, la République florentine commande à Léonard de Vinci une fresque guerrière pour orner un mur de la salle du conseil du Pallazo Vecchio : la bataille d’Anghiari. Cette scène devait rappeler la victoire des Florentins sur les Milanais le 29 juin 1440 en Toscane. Léonard commence l’œuvre le 6 juin 1505, l’artiste est alors empreint d’un pessimisme grandissant sur la nature humaine, il désire montrer à travers cette scène de bataille la brutalité, la férocité, pour ne pas dire l’animalité, des instincts humains qui s’expriment dans la mêlée.
Alors qu’il commence à peine son œuvre le pessimisme et les pensées négatives de Léonard s’expriment déjà dans ses notes, le sort semble s’acharner : « ce 6ème jour de juin 1505, vendredi, sur le coup de la treizième heure, j‘ai commencé à peindre au Palazzo. Au moment où [j‘] ai appliqué la brosse, le temps est devenu mauvais, et la cloche a sonné pour appeler les hommes à se réunir. Le carton s’est déchiré, l’eau s’est renversée et le vase qui la contenait s’est brisé »… Il commence néanmoins par peindre la scène centrale, la lutte pour l’étendard, mais on ne connaît pas directement son œuvre.
En effet, l’œuvre ne sera jamais terminée, Léonard partira pour Milan en 1506 et ne finira jamais son travail. D’ailleurs la ville de Florence sera contrainte de lui réclamer l’argent avancé. Pourquoi abandonner cette œuvre ? Il semblerait que Léonard est abandonné après un nouvel échec de ses inventions picturales (comme celles qui causèrent la mauvaise conservation de La Joconde ou de La Cène), Vasari raconte :
« s’étant mis en tête de peindre à l’huile sur le mur, il élabora une mixture si épaisse qu’elle commença à couler pendant l’exécution de la peinture aussi y renonça-t-il, la voyant s’altérer ». Dans le Libro d‘Antonio Billi de 1518 l’explication est même plus précise : il « avait emprunté à Pline la recette des couleurs qu‘il employa, mais sans l‘avoir parfaitement comprise. Il l‘expérimenta pour la première fois dans la salle des Papes où il travaillait ; il fit devant le mur un grand feu de charbon qui devait par sa chaleur sécher la matière. Puis, lorsqu‘il commença de peindre dans la salle du Conseil, il apparut que le feu séchait et consolidait la partie inférieure de la fresque, mais qu‘il ne pouvait, en raison de la distance qui l‘en séparait, atteindre à la partie supérieure, où, n‘étant pas fixées, les couleurs se mirent à couler ». La fresque de la bataille d’Anghiari serait donc un échec technique pour Léonard. L’œuvre ratée aurait été effacée et remplacée par la suite par une fresque de Vasari commandée par les Médicis.
Les travaux préparatoires de Leonard de Vinci
Si de l’œuvre elle-même rien ne subsiste Léonard de Vinci laissa à Florence le carton préparatoire qu’il avait réalisé et qui fut par la suite exposé au palais des Médicis. Mais faute d’avoir retrouvé ce carton on ne dispose que de quelques dessins préparatoires dont aucun ne représente la scène dans son ensemble. La scène centrale, celle qui fut peinte, la lutte pour l’étendard, est connue par des copies comme la Tavola Doria, une gravure de Zacchia Lorenzo il Giovane et une réinterprétation plus tardive de Pierre Paul Rubens.
Les dessins, les études, de Léonard montrent des visages marqués par le hurlement, le rugissement, des parallèles de profils sont faits entre l’Homme, le lion, le cheval… Tout est museau, tout est croc… Tout est tumulte, acharnement, haine, déchaînement des passions…
A croire que le sort s’acharna véritablement sur cette commande puisque Michel-Ange chargé de faire un autre mur de la salle avec la « Bataille de Cascina », fut appelé par le Pape Jules II et laissa son œuvre au stade de carton (aujourd’hui également perdu).
Les aventuriers de la fresque perdue
Certains chercheurs pensent cependant que la fresque de Léonard ne fut pas détruite, Vasari admirant trop ce dernier pour peindre par-dessus. C’est la thèse que soutint Carlo Pedretti dans les années 1970. Ce dernier est persuadé que Vasari a fait dresser un mur de brique devant l’œuvre de Léonard avant de peindre. Il avait en effet usé d’un tel stratagème pour peindre sans détruire par-dessus l’œuvre de Masaccio dans l’église Santa Maria Novella.
En 2012, le professeur californien Maurizio Seracini effectua lui des prélèvements de peintures sous l’œuvre de Vasari et y aurait trouvé des traces d’une peinture noire spécifique à Léonard de Vinci. Cette découverte pourrait indiquer que l’œuvre de Léonard a été recouverte sans être détruite, ce que certains voient comme une certitude en lisant sur un étendard de l’œuvre de Vasari « Cerca, Trova » c'est-à-dire « Cherche, Trouve »…
Pour aller plus loin
- Léonard de Vinci, l'homme de guerre, de Pascal Brioist. Alma, 2013.