2nd battle squadronLa bataille du Jutland est la plus grand bataille navale de la Première Guerre mondiale, que se livrèrent les flottes britannique et allemande, le 31 mai et le 1er juin 1916. Alors que la guerre sur terre s’embourbe dans les tranchées puis l’enfer de Verdun, l’affrontement n’a pas encore eu lieu sur mer entre les deux rivaux européens, l’Empire britannique et l’Empire allemand. C’est à la fin du mois de mai 1916, au large du Danemark, que vont enfin s’affronter leurs flottes. Si la flotte allemande inflige plus de pertes que sa rivale, elle n'obtient pas un avantage décisif dans le Jutland et laisse aux anglais la suprématie sur la mer du nord jusqu'à la fin de la guerre.

 

Stratégies allemande et britannique

Le début du XXè siècle a vu l’Empire allemand devenir un concurrent sérieux à la puissance britannique. C’est le cas en particulier dans le domaine de la marine de guerre, avec l’influence déterminante du grand-amiral Alfred Von Tirpitz (1849-1930) qui va faire passer la Hochseeflotte de la sixième à la deuxième place des puissances navales, juste derrière l’Angleterre, par une série de lois entre 1898 et 1908. Pourtant, l’empereur Guillaume II lui refuse le droit d’affronter la flotte britannique alors que la guerre ait déclenché… 

Deux stratégies s’affrontent au début du conflit : les Britanniques croient à la guerre d’usure (grâce à leur maîtrise des mers et des détroits stratégiques), les Allemands à la guerre-éclair (surtout qu’ils ont longtemps espéré une neutralité de la part des Anglais) ; des stratégies qui évidemment ont leur influence sur le domaine maritime. 

Côté allemand, il y a rapidement un dilemme : faut-il utiliser la remarquable arme de Tirpitz, ou la conserver comme menace en vue d’éventuelles négociations ? La première option est risquée car, malgré les progrès de la flotte allemande, les Alliés ont de fait la maîtrise des mers et il faudrait un effort conséquent (et les risques qui vont avec) pour leur contester. La stratégie choisie est donc défensive, au grand dam de l’amiral Tirpitz : la flotte doit protéger les côtes, soutenir l’offensive terrestre et tout de même commencer à user la marine ennemie, en la divisant par des attaques ciblées. C’est une guerre de course, même si elle ne va pas aussi loin que celle lancée en 1939... 

Côté britannique, la Grand Fleet est vitale pour la survie même de l’Angleterre ! Son rôle est avant tout de maintenir les communications entre la Grande-Bretagne, son Empire et le reste du monde. Ce contrôle des communications sert aussi à isoler l’ennemi allemand, par le blocus. Mais la menace sous-marine grandissante et le système sous-estimé des mines (la zone du Jutland y est très propice) mettent à mal cette stratégie. Cela oblige l’Amirauté à garder ses navires dans les ports et à surveiller toute sortie ennemie pour contre-attaquer. C’est exactement ce qui va se passer, au large de la péninsule du Jutland. 

Les forces en présence lors de la bataille du Jutland

Nous l’avons vu, la politique de Tirpitz a grandement amélioré la marine de guerre allemande, la posant en première rivale de la flotte britannique. Celle-ci a cependant encore une bonne longueur d’avance, surtout en termes quantitatifs : la Grand Fleet de l’amiral Jellicoe dispose de vingt-neuf dreadnoughts (dont le navire-amiral Iron Duke), cinq croiseurs de bataille, huit croiseurs-cuirassés, quatorze croiseurs légers et des dizaines de contre-torpilleurs, le tout organisé en cinq escadres « de bataille » et une force d’éclairage de trois escadres (plus les flottilles de torpilleurs). Il faut y ajouter la Channel Fleet, qui agit en coordination avec la marine française, et qui est composée de cuirassés anciens et de contre-torpilleurs, même si elle est loin du Jutland, théâtre de la bataille à venir.

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L’Allemagne, quant à elle, peut aligner treize cuirassés modernes et vingt-deux anciens, quatre croiseurs de bataille, quatorze croiseurs modernes et cinq anciens, quatre-vingt huit torpilleurs et vingt-huit sous-marins ; l’essentiel est concentré au sein de la Hochseeflotte, commandée par l’amiral von Ingenohl (puis Pohl), et qui a fait du Jutland l'une de ses zones stratégiques.
 

Si le nombre est donc largement en faveur des Britanniques, surtout sur les navires lourds, il en va différemment de la qualité. C’est d’abord l’artillerie, où les Allemands sont nettement supérieurs, que ce soit sur le plan de la précision, de la fiabilité, de la rapidité du tir ou de la qualité des obus ! De plus, les torpilles et les sous-marins, mais aussi les mines, sont de meilleure qualité du côté allemand.  

On peut donc dire que l’affrontement qui s’annonce est loin d’être joué d’avance…

Les prémices de la bataille navale du Jutland apparaissent dès les débuts de l’année 1916, d’abord avec des changements au niveau du commandement de la Hochseeflotte, puis par les premières attaques allemandes visant à préparer l’offensive navale qui devra être rapide et décisive. Mais les services secrets britanniques veillent…

Von Scheer et les Zeppelins 

Le premier moment important de la bataille qui s’annonce est la nomination à la tête de la Hochseeflotte du vice-amiral Reinhard von Scheer, en janvier 1916. Contrairement à Pohl, son prédécesseur, Scheer est partisan d’une stratégie plus offensive. Son homologue britannique, John Jellicoe, est lui plus prudent tant la marine est cruciale pour la survie de l’Angleterre, et il voit un affrontement massif entre les deux flottes comme uniquement « l’ultime solution ». 

Scheer compte profiter de ce qu’il considère comme de la frilosité de la part de l’ennemi : sans engager le gros de sa flotte, il obtient de pouvoir exercer une pression plus agressive contre la Grande-Bretagne, par l’action des sous-marins contre les communications, par des sorties de ses navires pour attirer une flotte britannique divisée dans ses eaux, et enfin par un bombardement sur le sol anglais en représailles au blocus. C’est là qu’entrent en action les Zeppelins qui, dès janvier 1916, bombardent à l’aveugle Liverpool ! Des dirigeables également utilisés comme engins de reconnaissance pour éviter d’être surpris par la Grand Fleet. 

Durant les semaines qui suivent, Scheer lance d’autres offensives pour tester les défenses ennemies, principalement avec des torpilleurs. Cela commence à gêner les Britanniques car les poursuites échouent sur leur cauchemar, les redoutables champs de mines allemands ! L’opinion britannique s’insurge que sa flotte ne parvienne pas à protéger ses côtes, et un degré est franchi quand Scheer, couvert par le bombardement de Zeppelins sur le Sud et l’Est de l’Angleterre, parvient à amener une vingtaine de bâtiments de ligne au large de Zeebrugge ; mais heureusement pour l’Angleterre il n’ose pas à aller jusqu’au Pas-de-Calais…

Des raids sont organisés pour détruire les usines de dirigeables, sans succès. Le vice-amiral Beatty, connu pour son esprit d’initiative, tente avec ses croiseurs de bataille de contre-attaquer à son tour ; Scheer voit alors l’occasion de le piéger et de porter un coup important à la flotte anglaise, mais le mauvais temps le dissuade de pousser plus loin son effort, malgré quelques escarmouches. 

Tel est pris qui croyait prendre ? 

Le mois d’avril voit les attaques aériennes allemandes s’intensifier, au grand dam des populations civiles. Scheer compte en fait pousser Beatty à la faute, le faire sortir et l’attaquer en surnombre avec la Hochseeflotte et l’aide des sous-marins. Fin avril, le vice-amiral allemand fait sortir toute sa flotte mais les services secrets britanniques, qui ont déchiffré les messages ennemis, permettent à la Grand Fleet de ne pas être surprise ; elle met le cap sur Héligoland. Mais, une fois de plus, la brume et la prudence de Scheer reportent le grand combat après quelques tirs échangés entre les croiseurs.

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Ce n’est que partie remise tant la pression pèse sur les deux commandants : la population anglaise est exaspérée que sa flotte ne puisse la protéger des raids, et côté allemand l’abandon de la lutte sous-marine à outrance (sous la menace américaine) reporte tous les espoirs sur une action décisive de la Hochseeflotte. Jellicoe, malgré son caractère (trop ?) prudent, doit se résoudre à un affrontement, que Scheer espère mais en ayant évidemment l’initiative. 

Le 30 mai, les services de renseignement britanniques informent l’Amirauté que la flotte ennemie se regroupe, et l’ordre est donné de lever l’ancre. De son côté, Scheer ignore totalement que les Anglais sont au courant de ses mouvements, et qu’il va tomber dans le piège qu’il comptait tendre ! La « carotte » de Scheer est l’escadre du contre-amiral Hipper, qui doit rester au Nord du Jutland, le but étant une nouvelle fois d’attirer Beatty, avant-garde britannique et isolé de la Grand Fleet. 

Malgré les renseignements, les Britanniques commettent plusieurs erreurs, et le sort semble tourner en faveur de Scheer : d’abord le piège contre Beatty fonctionne, car celui-ci n’attend pas la Grand Fleet pour foncer vers Hipper qui cingle vers le Jutland ; en effet, l’Amirauté ne sait pas que Scheer, s’il a appareillé, n’est aussi pas loin, au Sud de la position de Hipper. Ensuite, une confusion de transmissions conduit Jellicoe à se priver de son transport d’hydravions, qui devait assurer l’éclairage de sa flotte. Heureusement pour les Anglais, Scheer doit à son tour se priver de reconnaissance aérienne, mais aussi des sous-marins, incapables d’endommager la flotte ennemie et surtout de prévenir de sa sortie des rades ! 

Les premiers tirs et la première victime 

Beatty arrive à son point de rendez-vous près du Jutland, et se place pour « réceptionner » l’escadre de Hipper. Il est sûr de sa force, il dispose en effet de six croiseurs de bataille et de quatre dreadnoughts, alors qu’en face Hipper ne devrait aligner que cinq croiseurs de bataille. Mais intervient alors un hasard qui rend ces batailles tellement légendaires : un cargo danois qui passait par là est simultanément repéré par les deux escadres qui envoient alors une avant-garde pour confirmation ; évidemment, elles se repèrent l’une l’autre ! Le combat commence, et c’est le croiseur britannique Galatea qui encaisse le premier obus de la bataille du Jutland. 

L’escadre britannique est surprise et Beatty, qui n’était déjà pas bien placé au départ, est contraint de détacher ses croiseurs de bataille de ses dreadnoughts pour riposter dans de meilleures conditions. La confusion est une nouvelle fois grande des deux côtés, et les flottes finissent tout de même par se retrouver pour l’affrontement ; mais Hipper a réussi à orienter Beatty au Sud pour qu’ils se dirigent tous deux droits sur la Hochseeflotte ! Pendant ce temps, la Grand Fleet accélère la cadence pour venir au secours de son vice-amiral… 

Les deux escadres avancent en lignes parallèles, séparées de 18 000 mètres, le Lion de Beatty et le Lützow de Hipper en tête de chacune. C’est le croiseur allemand qui ouvre le feu en premier, suivi par les navires de tête britanniques. Beatty a l’avantage numérique, mais les ordres allemands sont plus précis, tout comme les tirs : le navire-amiral anglais et le Princess Royal sont touchés deux fois, le Tiger quatre fois ! C’est ce dernier et le Lion qui encaissent les plus graves dommages.

Heureusement, le Queen Mary parvient à toucher le Seydlitz et à amoindrir son tir, puis le Lützow est touché à son tour. Il est 16 heures, le combat n’a pas commencé depuis un quart d’heure que le Lion est une nouvelle fois frappé très violemment, et mis quasiment hors de combat ! Mais c’est le croiseur Indefatigable, assommé par le Von Der Tann, qui est la première victime de la bataille du Jutland : il chavire avec presque 1000 hommes (il n’y aura que deux survivants repêchés) ! 

L’arrivée des dreadnoughts britanniques au large du Jutland

La mêlée continue, de plus en plus confuse, surtout avec la décision du croiseur allemand Moltke de lancer des torpilles. Le contre-amiral Hipper tente alors d’accroître son initiative en se rapprochant de l’ennemi, mais il se retrouve sous la menace de l’escadre cuirassée (les dreadnoughts) que Beatty avait dû laisser derrière lui et qui enfin le rejoint ! Cette escadre est composée des plus récents navires lourds de la marine anglaise, et c’est donc un renfort de poids pour Beatty, sonné par l’attaque de Hipper : le Barham ouvre le feu sur le Von Der Tann, suivi par le Valiant, le Warspite et le Malaya qui visent aussi le Moltke. Cela donne un répit à Beatty, et Hipper ne peut porter le coup de grâce : l’intensité du combat baisse alors…

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 Le combat reprend cependant plus violemment alors que Hipper a réussi à se rapprocher une nouvelle fois : le Lion est durement frappé, tout comme côté allemand le Von Der Tann et le Seydlitz. Cependant, ce dernier, aidé par le Derfflinger, concentre son tir sur le Queen Mary ; celui explose à 16h26 ! Si la plupart des bâtiments allemands ont subi des dégâts, les Britanniques déplorent déjà la perte de deux croiseurs…Mais Beatty refuse toujours de se retirer. 

La Hochseeflotte est en vue 

C’est ensuite aux bâtiments légers, les torpilleurs, d’entrer dans la danse. Commence alors un furieux ballet entre ces navires rapides et agiles qui échangent coup pour coup. Les Britanniques prennent l’avantage, en frappant les croiseurs allemands, les obligeant à détourner le tir de leurs rivaux anglais. Il était temps, car la Hochseeflotte de Scheer est déjà en vue !

Il est à peine 17 heures, les Anglais ont perdu deux croiseurs et deux contre-torpilleurs, les Allemands deux de ces navires légers également, mais aucun lourd ; néanmoins, plusieurs de leurs croiseurs ont vu leur puissance de feu amoindrie par les coups portés, et sans l’arrivée de Scheer l’escadre de Hipper encourait de gros risques. La bataille du Jutland n’est pas terminée. 

L’apparition de la Hochseeflotte ne rassure évidemment pas Beatty, qui tente alors d’entrainer Scheer et Hipper vers le Nord de la région du Jutland, droit sur la Grand Fleet. En effet, les Allemands ne savent toujours pas que la flotte de Jellicoe a appareillé. Mais interviennent encore des erreurs de transmission, et la flotte anglaise se trouve en partie désorganisée et divisée : l’escadre cuirassée (celle du Barham) doit engager la Hochseeflotte, alors que Beatty tente de joindre la Grand Fleet. Le Warspite est durement touché, mais c’est surtout le Malaya qui encaisse les coups du König. Heureusement, les dégâts ne sont pas décisifs et le bilan finalement peu lourd, au grand dam des Allemands. Beatty peut alors souffler, un peu. Il est 17h15. 

Les tirs reprennent moins d’un quart d’heure plus tard, entre d’un côté le Lion (très endommagé), le Princess Royal, le Tiger, le New Zealand, et de l’autre le Lützow, le Seydlitz et le Derfflinger. Le navire-amiral allemand est durement touché, et Hipper doit se retirer ! Arrive au même moment l’escadre du contre-amiral Hood, qui oblige le commandant allemand à essayer de rejoindre la Hochseeflotte. Beatty, lui, reçoit le soutien des croiseurs Chester et Canterbury ; mais le premier est un peu trop téméraire et, assailli par les tirs allemands, il ne doit son salut qu’à l’aide de L’Invincible. La Grand Fleet est pendant ce temps en train de se déployer un peu dans la confusion, alors que les Allemands comprennent trop tard son arrivée. 

C’est alors que surgit le Defence, un vieux croiseur anglais qui veut se mêler à la bataille, alors qu’il n’est pas au niveau des bâtiments ennemis ; accompagné du Warrior, il ajoute à la confusion en voulant achever le Wiesbaden ! Pris sous le feu du Lützow, il explose et disparaît avec tout son équipage ! Il en faut de peu pour que son compagnon subisse le même sort, mais il est sauvé par l’intervention involontaire du dreadnought Warspite : celui-ci, touché au gouvernail, se retrouve cible prioritaire pour les Allemands, et le Warrior peut se retirer !

Scheer face à Jellicoe dans le Jutland 

La Grand Fleet, elle, arrive enfin dans la mêlée du Jutland se plaçant avec diffficulté, et l’Iron Duke ouvre le feu à 18h23, avec une certaine réussite ; malheureusement, les autres bâtiments ont une visibilité réduite, et Jellicoe ne peut profiter pleinement de son avantage tactique ; il décide toutefois de manœuvrer pour garder la flotte ennemie sur son ouest, alors que Scheer comprend vite qu’il ne pourra résister longtemps avec cette arrivée non prévue de Jellicoe. 

L’escadre de Hood est elle depuis pleinement entrée dans la bataille et attaque les navires de Hipper ; celui-ci riposte avec le Lützow et le König : le navire-amiral de Hood, l’Invincible, est frappé à mort ! C’est la quatrième victime des Allemands…contre zéro ! 

La Hochseeflotte tente de se mettre dans la meilleure position pour se retirer sans encombre, loin du Jutland : Scheer enchaine les manœuvres compliquées mais soigneusement préparées pour attirer l’ennemi en profitant de la réussite des croiseurs de Hipper (qui doit abandonner le Lützow trop endommagé), tout en évitant de se retrouver en infériorité numérique.  Mais peu avant 19h, le vice-amiral tente un coup dont il a le secret : il vire de bord pour cingler droit sur le centre de l’arc formé par la Grand Fleet ! Scheer explique dans ses mémoires qu’il a décidé de cette manœuvre pour conserver prendre l’initiative avant la nuit, moment où il risquait d’être mis en difficulté par l’ennemi ; le seul moyen selon lui était donc de surprendre l’adversaire.447298hms royal oak 3

 La flotte britannique voit ainsi se rapprocher les croiseurs allemands, et son avant-garde, composée entre autres des croiseurs Hercules et Colossus fait feu : le Derfflinger et le Seydlitz subissent un feu nourri et encaissent des coups sévères de la part d’au total treize bâtiments ennemis ! Le Von Der Tann, lui, doit résister au feu du Valiant et du Malaya…Ils sont bientôt rejoints par l’Iron Duke.
 
La manœuvre de Scheer a donc échoué, et sa flotte se trouve piégée sous un tir constant qui menace de l’anéantir ; il décide alors de faire à nouveau volte-face mais surtout de sacrifier ses croiseurs de bataille : « Ordre aux croiseurs de bataille de courir sus à l’ennemi en s’engageant à fond ! Chargez, éperonnez ! ». Il veut ainsi sauver le reste de sa flotte de l’anéantissement total.
 
Encore une fois, ce sont les torpilleurs qui s’illustrent : escortant les croiseurs de bataille, ils chargent la flotte britannique pour eux aussi couvrir la retraite de Scheer. Leurs torpilles menacent les navires de lignes anglais et ceux-ci doivent les faire reculer en concentrant leurs tirs sur eux ; Jellicoe est même obligé de changer de cap et de s’écarter de l’ennemi : il perd là l’occasion de rester vraiment au contact de Scheer, et donc la chance de l’anéantir… 

Combats en pleine nuit 

La nuit venue au large du Jutland, les espoirs allemands demeurent : Scheer est dans son élément face à un Jellicoe qui préfère rester prudent. Les combats reprennent, sporadiques et tout aussi confus que pendant la journée. Scheer tente d’éviter l’encerclement, Jellicoe le suit en essayant de le frapper sans trop prendre de risques. 

Ce sont les croiseurs légers qui reprennent le combat après 22h : le Southampton parvient à couler le Frauenlob. Ce sont ensuite les contre-torpilleurs anglais qui éclairent la nuit de leurs tirs en lançant de nouvelles attaques. Le croiseur Black Prince est moins en réussite : il a perdu le contact avec la Grand Fleet et joue d’infortune en tombant nez à nez avec 1ère escadre cuirassée allemande ! Peu après minuit, il explose sous les tirs du Thüringen, du Nassau et du Friedrich der Grosse…Les attaques des destroyers britanniques ne cessent cependant pas, et elles sont enfin récompensées quand une torpille envoie par le fond le cuirassé Pommern ; il est 2h10. Entretemps, le Lützow a été abandonné et sabordé.

Le bilan de la bataille du Jutland

La bataille du Jutland est terminée : la Hochseeflotte a réussi à regagner ses eaux, et Jellicoe sait que cela ne sert à rien d’insister. Le bilan est impressionnant : dans les eaux du Jutland, les Britanniques ont perdu définitivement les croiseurs de bataille Queen MaryIndefatigable et Invincible, les croiseurs-cuirassés DefenceWarrior et Black Prince et huit contre-torpilleurs pour plus de 6000 morts (pour 60 000 engagés). Les Allemands déplorent la perte du croiseur de bataille Lützow, du mf_bayern_scuttle_01cuirassé Pommern, des croiseurs légers WiesbadenElbingRostock et Frauenlob ainsi que cinq destroyers, pour plus de 2000 morts (sur 45 000 engagés).

La bataille du Jutland a vu s’affronter près de 250 navires, plus de 100 000 hommes, qui se sont envoyés plus de 20 000 obus ! Aux points, c’est évidemment la Hochseeflotte qui l’emporte, en particulier grâce à sa supériorité d’artillerie. L’Angleterre a montré sa supériorité en termes de renseignement, mais guère plus. Cependant, la victoire stratégique est sûrement à l’avantage des Britanniques : la Grand Fleet conserve sa capacité à défendre les côtes et les voies de communication, tout en imposant un blocus aux Allemands ; ces derniers, en revanche, n’oseront plus sortir leur flotte de toute la guerre. 

Le destin tragique de la Hochseeflotte 

La puissante flotte allemande connut un destin encore plus tragique en 1919 : échaudés par le Jutland, les Britanniques contraignirent leur ennemi à leur livrer la Hochseeflotte dans leur propre rade d’Ecosse, à Scapa Flow, humiliation suprême ! Refusant que sa flotte soit partagée entre les vainqueurs, le vice-amiral Ludwig von Reuter ordonna aux navires de se saborder le 21 juin 1919. Les Britanniques, surpris, ne purent empêcher plus de cinquante bâtiments de leur échapper ! Parmi eux, plusieurs héros de la bataille du Jutland, dont le Friedrich der Grosse, le König, le Seydlitz, le Derfflinger ou le Von der Tann

Bibliographie non exhaustive

- F.E. Brézet : Le Jutland, 1916 : la plus formidable bataille de tous les temps. Editions Economica, 1992.

- Jutland, de Jean-Yves Delitte. Bd, Glénat, 2017.

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