La bataille de Poitiers (19 septembre 1356) est une victoire anglaise décisive de la guerre de Cent ans, remportée par le Prince Noir sur l’armée trois fois plus nombreuse du roi de France. La rencontre a eu lieu à Maupertuis, au sud-est de Poitiers. Croyant tirer la leçon de la déroute des chevaliers français à Crécy six ans plus tôt, le roi Jean II le Bon décide d’y d'affronter ses adversaires pied à terre, tandis que les Anglais préfigurent une nouvelle stratégie militaire, en détachant un groupe d'archers. Transformés en fantassins, les chevaliers sont handicapés par leur lourde armure et un armement inadéquat et se font massacrer par les anglais. Au cœur du combat, le roi Jean, qui refuse de fuir, est capturé, ainsi que son fils Philippe. Ce nouveau désastre militaire va provoquer des troubles en France et mettre en péril le trône des Valois.
Tirer les leçons de la défaite de Crécy
Après Crécy les fameuses « chevauchées » anglaises se multiplient, défiant un roi de France largement impuissant à réagir à temps et à mesure de la menace. Le jeune prince de Galles connu plus tard comme le Prince Noir, fils d’Édouard III, se voit confier la Guyenne et gagne sa réputation en ravageant le Languedoc en 1355.
Conscient de la leçon du désastre de son père à Crécy, Jean II, roi de France depuis 1350, tente de réorganiser ses moyens militaires sur des bases tactiques saines, en disciplinant et organisant la chevalerie ou en favorisant l’usage de l’arbalète dans le peuple. Face à l’ordre de chevalerie de la Jarretière créé par Édouard III, il fonde un éphémère « ordre de l’Étoile », vision personnelle de la Table ronde, dont les chevaliers, en vertu d’une hérésie tactique caractéristique de ce temps, jurent de ne jamais reculer devant l’ennemi.
Les préparatifs de la bataille
En avril 1356, alors que le roi Jean est préoccupé par les problèmes de Normandie, le Prince Noir entame une nouvelle chevauchée depuis la Guyenne en direction du nord à la tête d’une armée anglo-gasconne. Le roi rameute ses nombreuses forces (trente mille hommes), se met à la poursuite des Anglais se repliant sur Bordeaux, et leur coupe la route. La rencontre a lieu à huit kilomètres au sud de Poitiers à Maupertuis. Le dimanche 18 septembre 1356, les deux armées sont face à face. Numériquement supérieur et en bonne position, le roi Jean est sûr de sa victoire et accepte une trêve dominicale demandée par les représentants du pape.
Il fait organiser son armée en quatre « batailles » qu’il veut plus cohérentes et disciplinées que les bannières féodales. En première ligne, un corps d'élite de trois cents hommes soigneusement sélectionnés, « la fleur de chevalerie », dirigé par le connétable de Brienne et les maréchaux de Clermont et d'Audrehem, doit procéder à la charge initiale pour « ouvrir et fendre les archers ». En deuxième ligne, le gros des forces, à pied, divisé en deux batailles commandées par le dauphin Charles et le duc d’Orléans.
En réserve, la « bataille du roi » comprenant les autres princes français. La soirée du 18 est consacrée à préparer l’équipement pour le combat à pied prévu le lendemain.
La bataille de Poitiers (1356)
Autour du Prince Noir, Jean Chandos, brillant capitaine, conscient de l’impossibilité de rester sur place par manque de vivres, met au point un plan pour échapper à la nasse française: défiler devant l’armée royale, protégé par les haies en lisière des bois. C’est une provocation: si les Français réagissent, les longbows des archers gallois placés en flanc-garde de la colonne décimeront l’assaillant. Si le roi Jean retient ses troupes, les gués du Miosson tout proche protégeront l’armée et lui ouvriront la route de Bordeaux. Warwick, Suffolk et le capitaine de Buch commandent l’avant-garde. Édouard et Chandos « pour lui garder et conseiller » dirigent le centre. Salisbury et Oxford ferment la marche.
« Vous vous souhaitiez, le bassinet en tête, devant eux. Or y êtes-vous ! » Par cette harangue à ses chevaliers, le roi Jean entend maintenir l’esprit de l’ordre de l'Étoile qu’il a voulu. Si les premiers accrochages sont favorables aux armes françaises, la troupe de Nassau faisant même quelques prisonniers, la véritable entame de la bataille à l’aube du 19 est désastreuse.
Alors que les Anglais se mettent en mouvement selon le plan de Chandos, l'avant-garde française, incapable de discipline, s’élance soudain dans deux directions différentes alors que le gros des troupes est encore au campement. « Vous ne serez hui si hardi que vous mettiez le museau de votre cheval au cul du mien » avait dit Clermont, qui est tué dans l’assaut, à Audrehem. Ce dernier, qui attaque l’avant-garde anglaise, ne tarde pas à être capturé. Le connétable de Brienne attaque quant à lui avec fougue mais sans résultat la queue de la colonne anglaise.
Entamée mais non encore vaincue, l’armée de France s’élance vers les Anglais dans le plus grand désordre. Ces derniers, raffermis par leur premier succès, décident de faire front. Les archers déciment les Français lourdement armés et à pied.
Le roi sait la victoire désormais compromise mais donne lui-même le désastreux signal de la défaite en ordonnant à ses fils de se retirer, ne gardant auprès de lui que le jeune Philippe. Il ne peut cependant concevoir la fuite pour lui-même. Beaucoup de chevaliers suivent déjà l’exemple des princes de la Couronne et se débandent. Chandos et le Prince Noir s’élancent à leur tour à l'attaque de la bataille du roi, ultime réserve désormais en première ligne. Le jeune prince Philippe, futur duc de Bourgogne, à ses côtés (« Père gardez-vous à droite... »), le roi se rend après un corps-à-corps furieux, vaincu, mais ayant préservé son honneur de chevalier.
Les conséquences de la défaite française
Si le Prince Noir gagne à Poitiers une réputation non usurpée de grand capitaine, les conséquences pour la France sont désastreuses. L'unité relative du royaume vole en éclats, le peuple accusant de lâcheté une noblesse deux fois décimée en une décennie. Le jeune dauphin et futur Charles V, plus amoureux de lettres que de guerre, se retrouve dans l’inconfortable position de régent d’un royaume divisé comme jamais et bientôt amputé d’un quart.
Au traité de Brétigny de 1360 la rançon du roi Jean, trois millions d’écus soit deux années de recettes fiscales, et la cession à l’Angleterre du sud-ouest du royaume seront les prix d’une paix d’apparence durable, en réalité simple trêve dans une lutte encore longue.
Pour aller plus loin
- Poitiers, 19 septembre 1356, de Georges Minois. Tallandier, 2014.
- Jean le Bon, de Jean Deviosse. Fayard, 1985.
- Les grandes batailles de la guerre de Cent ans. 50Minutes, 2015.