Louis-Ferdinand Céline, l'Architecte Le Corbusier et François Mitterrand sont des personnalités connues du grand public. Pourtant, l'étude de leur passé nous montre que l'histoire et l'étude de la vie de ces personnes sont plus complexes. Personnages de leur temps, marqués du sceau d'une époque traversée par les tensions et le triomphe des idées d'extrême droite, cette partie de leur vie a refait surface dans un contexte totalement différent, qui a suscité et ce encore jusqu'à nos jours, un débat passionné, notamment du côté des historiens.
Le contexte : des personnalités qui reflètent une ambivalence mémorielle
Personne n'a encore imaginé, encore moins regardé en face le problème humain que laissera la guerre derrière elle. Il n'y a jamais eu de telle destruction, de telle désintégration de la structure de la vie. Ce propos, extrait de l'œuvre Après Guerre, une histoire de l'Europe depuis 1945 de Tony Judt, traduit le sentiment général d'une issue humaine catastrophique pour l'Europe après la Seconde Guerre mondiale. Mais plus encore, l'ampleur de cette guerre a laissé des traces indélébiles dans l'esprit des Européens, un objet de Mémoire pour les générations qui ont succédés aux personnes qui ont survécu à cette guerre et qui l'ont affronté quotidiennement.
La Seconde Guerre mondiale marqua la victoire idéologique de la démocratie et de la liberté sur les régimes dictatoriaux et autoritaires. Aujourd'hui encore, la vie des sociétés européennes est rythmée par le souvenir d'évènements, imprégné de cette idéologie victorieuse, telle la célébration à l'heure actuelle des actions de la résistance et des évènements qui ont sonné la fin de la guerre.
Dans le cas de la France, une dualité de Mémoire se fait jour et ce depuis la période de la libération durant laquelle les hommes issus de la résistance ont reconstruit la France et réinstallé la république sur le territoire français, elle qui était alors exilé à Londres et à Alger. Pour autant, les ruines du régime de Vichy et les hommes qui l'ont incarné, pour la plupart, chassé de l'administration, condamné par la justice d'après guerre ont marqué de leur présence l'opinion publique. Le grand écrivain, Céline, François Mitterrand, un homme politique qui a exercé des fonctions sous le régime de Vichy mais aussi l'architecte le Corbusier pour lequel, le centre Pompidou consacre une vaste exposition à l'heure actuelle.
Leur présence au sein de l'espace public n'a pas manqué d'attiser la curiosité sur ces personnes, curiosité qui a participé à dévoiler leur passé pour faire émerger les faces cachés et surtout dérangeantes de la vie de ces hommes. C'est ce que nous allons tenter de décrypter en étudiant plus précisément les personnalités cités ci-dessus. La première partie sera consacré à de courtes biographies comprenant les éléments qui permettent de comprendre chacune de ces personnalités publiques puis dans une deuxième partie, il sera alors nécessaire de présenter un passé parfois surprenant et qui a créé beaucoup de polémique à l'époque et encore aujourd'hui comme le démontre la figure de Le Corbusier.
Des personnalités reconnues au sein de l'espace public
Céline, Mitterrand et Le Corbusier sont trois personnalités connues du grand public et qui ont marqués de leur empreinte, respectivement, les domaines de la littérature, de la politique et de l'urbanisme. Leur passé a toutefois suscité des polémiques dont l'intention ici n'est pas de les raviver mais de les décrire.
Louis-Ferdinand Céline, de son vrai nom Louis Destouches, naquit le 27 mai 1894 et mena très largement une vie parisienne. Dans cette fin de siècle marquée par l'affaire Dreyfus, cet évènement ne sera pas sans conséquence. Il vécut dans une famille pour laquelle les valeurs de l'ordre, l'armée, du travail, et de la patrie sont constitutifs des principes de la famille Destouches. Son père lisait par ailleurs une presse volontiers nationaliste, antisémite et il ne reconnaitra jamais l'innocence du capitaine Dreyfus. Céline est issu d'une famille de petits commerçants et d'artisans. Sa formation est relativement sommaire, malgré quelques séjours linguistiques en Angleterre notamment. A l'âge de 18 ans, il s'engage en 1912 dans l'armée française par devancement d'appel. Ses blessures au combat et les opérations spécifiques de son régiment lui valent la Croix de guerre et la Médaille militaire. La guerre le marque et il développe son penchant pacifiste et pessimiste. Il passe et obtient le Baccalauréat en 1919 puis entreprend des études de médecine jusqu'en 1924. Son œuvre Voyage au bout de la nuit paraît en 1932, il obtient un prix Renaudot et connait alors un succès fulgurant. Ses principales œuvres sont au nombre de quatre : la première, mentionnée ci-dessus, puis vint Mort à crédit (1936), Casse-pipe (1949) et D'un château l'autre (1957). Sa vie et l'atmosphère dans laquelle il a vécu ont beaucoup influé sur ses pensées comme nous le verrons ultérieurement et surtout, il a été l'objet de vives polémiques, toujours d'actualité aujourd'hui.
François Mitterrand, est né en 1916 au sein d'une famille catholique. Ambitieux, il va devenir une figure politique incontournable de la République Française après la Libération. Etoile montante sous la quatrième république, il devint un opposant résolu au général de Gaulle. Son œuvre Le Coup d'Etat permanent publié en 1959 le démontre amplement. Candidat à la présidentielle de 1965 qui fut la première élection au suffrage universel direct, il fut battu par De Gaulle mais cette défaite ne lui fit pas se retirer de la politique, bien au contraire. S'imposant de plus en plus au sein de la gauche française, il devint le premier secrétaire du parti socialiste après le congrès d'Epinay en 1971. Il fut par la suite candidat à la présidentielle de 1974, défait, il fut à nouveau le candidat de la gauche en 1981, année de sa consécration électorale. Ainsi, François Mitterrand à été et demeure aujourd'hui encore, il n'est qu'à écouter François Hollande qui s'est placé dans l'héritage de François Mitterrand, une personnalité publique connut de tous mais pour laquelle son passé est demeuré pendant longtemps inconnu jusqu'à ce qu'il soit propulsé sur le devant de la scène publique et que certains éléments soient révélés. (cf : histoire pour tous : article sur la biographie de François Mitterrand).
Le Corbusier naquit en 1887 à Chaux-de-Fonds en Suisse. De son véritable nom, Charles-Edouard Jeanneret, il va se passionner très vite pour l'architecture et puise ses inspirations dans les nombreux voyages qu'il effectue durant sa jeunesse (Europe, Afrique du Nord, Balkans). Installé à Paris à partir de 1917, il va diffuser ses idées sur le sujet de l'urbanisme à travers la revue l'Esprit nouveau, qu'il a contribué à fonder, une revue d'art et d'architecture dans laquelle il prend le pseudonyme du Corbusier. Ses réalisations les plus connues s'expriment à travers la cité radieuse de Marseille, la chapelle de Ronchamp, parmi bien d'autres réalisations. Il fut donc un bâtisseur reconnu en France et plus encore à travers le monde, mais aussi peintre, sculpteur et décorateur. Cette personnalité fait pourtant l'objet d'une polémique toute récente, alors qu'il est exposé au centre Pompidou. A resurgi son passé proche de l'extrême droite, ses propos antisémites et ses rapports avec le régime de Vichy.
Une réalité : un passé dérangeant
L'histoire publique de ces personnalités est connue du grand public du fait de la notoriété qu'ils ont acquise au fur et à mesure du temps. Cette notoriété n'a toutefois pu cacher leur passé qui a été révélé provoquant parfois la stupéfaction dans le cas notamment de François Mitterrand. Mais commençons tout d'abord par Ferdinand Céline.
Louis Ferdinand Celine a donc fait l'objet d'un certains nombres de divisions au sein de l'opinion publique. Son talent littéraire indéniable ne pouvait masquer ses affinités avec les valeurs d'extrême droite. Dès la fin des années 1930, il n'hésite pas à prôner la haine raciale dans deux de ses œuvres : Bagatelles pour un massacre (1937) et L'Ecole des cadavres (1938). Il s'est considéré lui-même comme « l'ennemi numéro un des juifs », marqueur d'un antisémitisme virulent. Ces considérations le menèrent à soutenir explicitement le régime Nazi et a collaboré avec le régime de Vichy. Il écrivit de nombreuses lettres qui ont parcourues les différents journaux collaborationnistes, diffusées pour certaines d'entre elles. Cette promiscuité avec l'extrême droite va le condamné au ban de l'espace public français. Il ne connaîtra toutefois par le sort qu'a pu connaître l'écrivain antisémite et collaborationniste, Robert Brasillach.
Le cas de François Mitterrand est plus épineux. Son passé avec le régime de Vichy a surgit sur la scène publique à l'occasion de la publication en 1994 du livre, une jeunesse française de Pierre Péan, journaliste d'investigation. François Mitterrand travailla une année au sein de l'administration vichyssoise, période durant laquelle il reçut la francisque en 1943, une décoration qui lui avait été remise par le maréchal Pétain entériné d'une poigné de main. Il convient toutefois de préciser, que Mitterrand qui soutenait le maréchal Pétain, mais qui était contre l'Allemagne, il était donc « vichysto-résistant » (Jean Pierre Azéma), s'est par la suite pleinement investi au sein de la résistance pour en devenir un maillon essentiel. Finalement, le parcours de François Mitterrand a été celui de beaucoup d'autres français, celui d'être tiraillé entre la résistance et la collaboration. Michel Winock expliquait dans un numéro du journal « L'Obs » que François Mitterrand n'a jamais récusé son passé pétainiste. A partir de 1987, il fait fleurir chaque année la tombe du Maréchal Pétain à l'ile d'Yeu. Ce qui provoqua quelques protestations... Mitterrand, un personnage qui rassemble la résistance et la collaboration au sein d'une même histoire, celle de la France, cassant ainsi la dualité simpliste de deux camps qui s'opposent et supprimant toutes les complexités de l'histoire.
A la différence des deux personnalités précédentes, le Corbusier et son passé proche de l'extrême droite a été révélé par des ouvrages très récents tels que Le Corbusier, un fascisme français. Le Corbusier n'a jamais fait de politique, cela ne l'empêcha toutefois pas d'avoir des opinions bien définies. Il fut antisémite et ces quelques propos tirés d'une lettre adressées en 1913 à Auguste Perret tendent à le montrer : ces juifs cauteleux au fond de leur race, attendent... ou encore ces crétins de juifs, ignobles et offusquant. Tout comme Celine, Le Corbusier affirma ses idées d'extrême droite dans les années 1930 dans le contexte d'une poussée virulente de l'antisémitisme en France et plus largement en Europe. Les revues qu'il a contribué à fonder vont clairement exposer des théories raciales, tels que la revue, Plans en 1930. Soulignons que Le Corbusier fut influencé par de nombreuses personnalités fascistes telles que Pierre Winter, membre du mouvement fasciste, Le faisceau. L'architecte fut également un grand admirateur de Mussolini pour lequel il se rendit en Italie. De ses expériences, ses convictions n'en sortirent que renforcer lorsqu'advint le régime de Vichy. Proche de Jean Giraudoux, écrivain et commissaire général de l'information, Le Corbusier fit montre de son soutien à la politique hitlérienne ainsi que celle du régime de Vichy. A la libération, il échappe à la purge mise en place à l'encontre des collaborateurs de Vichy, probablement du fait de soutien au sein des milieux politiques d'alors.
En définitive, l'étude du passé de ces trois personnalités révèle la complexité de ces trois hommes. Leur promiscuité avec l'extrême droite est aujourd'hui connue, bien qu'elle reste à approfondir dans le cas de Le Corbusier pour lequel le centre Pompidou organise une exposition célébrant ses œuvres. Plus encore, le passé d'extrême droite a touché toutes les composantes de la société et pas seulement la vie politique française comme on le pense souvent. La littérature et l'urbanisme ont aussi connu des périodes plus sombres, ce qui n'enlèvent rien au génie des ces hommes, celui de Céline et ses talents d'écrivains, celui de Le Corbusier, l'urbaniste qui a travaillé à l'édification du bâtiment de l'ONU à New-York en 1947. Quant à François Mitterrand, il a, par son parcours été le symbole d'une « synthèse » entre les deux Mémoires qui se sont fait faces et ce, encore aujourd'hui, celle de la Résistance et de la Collaboration. Ces cas se révèlent donc complexe pour l'historien, car il doit prendre en compte la totalité de la vie de ces hommes dans leur entièreté, en tenant compte de la dualité entre une vie publique fait de notoriété et un passé plus dérangeant que certains aimeraient ne jamais connaître. La vérité impose que la vie de ces personnes soit prise dans leur intégralité pour espérer les comprendre.
Bibliographie
- Le Corbusier, un fascisme français, de Xavier de Jarcy. Albin michel, 2015.
- D'un Céline à l'autre, de David Alliot. Robert Laffont, 2011.
- Une jeunesse française: François Mitterrand, 1934-1947, de Pierre Péan. Pluriel, 2011.