Dans cet ouvrage, Joseph Vebret romancier et spécialiste de l’histoire de la littérature, nous propose de nous pencher sur la vie bien mouvementée du premier fils de Napoléon Bonaparte : Léon. Au sein de la famille impériale élargie, ce dernier occupe une place bien particulière, celui du mouton noir, du raté, dont la longue descente aux enfers suscite tout autant le mépris que la pitié. Evoquer ce triste destin c’est aussi s’attarder sur ce XIXe siècle français si tourmenté et dont Léon fut bien plus souvent la victime que l’acteur.
Premier fils, dernier des héritiers
Léon, né le 13 décembre 1806 (alors que l’Empereur est en campagne en Pologne), a pour mère Eléonore Denuelle de la Plagne, âgée de 19 ans fraichement divorcée du capitaine Revel, faux officier de dragons mais vrai escroc. Eléonore dont les parents ne jouissent pas d’une excellente réputation (son père homme d’affaires véreux ayant épousé une femme à la moralité à géométrie variable) est pourtant parvenue dans le lit de l’Empereur grâce à son ancienne camarade de pensionnant : Caroline, l’une des sœurs de Napoléon, la femme de Joachim Murat. Devenue lectrice de cette dernière, alors grande duchesse de Berg, Eléonore séduit rapidement l’empereur par sa grande beauté. Dans le complexe jeu de rivalités féminines et de jalousies qui oppose les sœurs de l’empereur à sa femme Joséphine, la jeune fille va vite se révéler un atout de poids.
En effet, Eléonore tombe rapidement enceinte ce qui tend à bouleverser les données du jeu de la succession de l’Empereur. Jusque là Napoléon s’était longtemps cru stérile ce qui mettait à mal son projet de légitimer un peu plus l’Empire par l’établissement d’une dynastie. Il est désormais certain que c’est sa femme Joséphine qui ne peut lui donner d’héritier, ce qui va peser lourdement dans sa décision d’en divorcer. En attendant son fils que Caroline a insisté pour faire nommer Léon (la moitié de Napoléon) reçoit d’emblée une rente confortable et sa mère quelques largesses bienvenues.
Au cours des années suivantes, l’empereur ne verra que rarement le bambin qui lui ressemble fortement. Léon grandit dans l’ignorance de son illustre ascendance, sous la tutelle du baron de Mauvières, bien plus à même d’assurer son avenir qu’Eléonore frivole et irresponsable. Dans son testament de Saint Hélène, Napoléon n’oublie pas le petit Léon, qu’il verrait bien faire carrière dans la magistrature. C’est bien mal connaitre l’adolescent qui a vite penché du mauvais côté…
Malgré les efforts de son précepteur, M Vuillard ancien capitaine d’artillerie, Léon n’a de cesse de jouir de ses confortables revenus en fréquentant les filles, les tripots et les salles de jeu, entamant ainsi une vie de mauvais garçon ruineuse. Lorsqu’il est finalement mis au courant de l’identité de son père, sa réaction démontre tout autant d’indignation que de fierté. Inconstant, il est capable de se revendiquer républicain un jour, monarchiste le lendemain, de condamner l’Empereur comme un tyran puis de faire ses éloges l’instant d’après…
Sa mère, depuis remariée au comte de Luxburg, va finir par se rappeler à son bon souvenir, alors qu’avec l’approche de sa majorité il est devenu un enjeu financier de taille. Elle le pousse à fuguer et à la rejoindre en Allemagne, et celui-ci tout heureux d’échapper aux reproches de Vuillard, s’exécute. Néanmoins, mère et fils ne s’entendent guère et se déchirent pour de sombres histoires d’argent. A 20 ans, le comte Léon comme il aime à se faire appeler, préfère s’en retourner à Paris.
Véritable dandy, joueur et coureur invétéré, capable de perdre plusieurs dizaines de milliers de francs en une nuit, Léon s’attire des ennuis après un duel mortel remporté contre un officier anglais. Echappant à une condamnation (certainement en raison de son illustre ascendance), il se trouve une nouvelle vocation en s’engageant en 1834 dans la garde nationale de St Denis dont il devient chef de bataillon. Il se révèle rapidement un officier médiocre, bien plus intéressé par ses conquêtes féminines que par ses responsabilités et sa loyauté au roi (qui sait si bien user des symboles Napoléoniens) Louis Philippe n’est pas des plus certaines.
Brouillé avec son supérieur, Léon qui commençait à agiter les foules en se servant de son statut de fils de l’Empereur est finalement rayé des cadres de la Garde Nationale. Il retourne alors à une vie dissolue et voit ses dettes prendre des proportions astronomiques. Rattrapé par ses créanciers, il finit en prison à Clichy, pour un séjour de deux ans. Le fils que Napoléon aurait voulu voir devenir magistrat est désormais un criminel notoire. A sa sortie de prison et après une liaison scandaleuse avec une prostituée (avec qui il partage une chambre d’hôtel en même temps que le mari de cette dernière…), Léon tente de remonter la pente en se trouvant des soutiens auprès de la famille Bonaparte.
Réclamant une somme d’argent qui selon lui ne lui aurait jamais été versé, contrairement aux volontés de son père, ses demandes se font pressantes. Elles ne trouvent cependant aucun écho auprès de la famille de l’Empereur si ce n’est peut être auprès de Lucien Bonaparte. Léon qui entretemps s’est fait disciple d’un entrepreneur, ex ami de Saint-Simon et philosophe excentrique : François-Guillaume Coëssin, décide de partir à Londres à la fois pour faire avancer les affaires de son maitre à penser et ami, mais aussi pour rencontrer plusieurs Bonaparte exilés outre manche. C’est là l’une des périodes les plus troubles de son existence.
L’auteur avance l’hypothèse que le comte Léon est en réalité venu au Royaume-Uni en tant qu’agent de la monarchie. Son objectif : provoquer en duel Louis-Napoléon Bonaparte, son cousin et ruine sa réputation (ou le tuer). Il est vrai que le bâtard impérial insulte copieusement le futur empereur qui refuse de l’aider financièrement ou même de le recevoir. Le duel aurait pu tout à fait survenir, si les participants n’avaient pas été arrêtés par la police quelques instants avant le combat. Si mission pour le roi des Français il y’avait, elle se termine en fiasco…
Léon, qui s’est définitivement aliéné les Bonaparte, rentre en France ruiné. Dans les années qui suivent il vit d’escroqueries, se donnant une légitimité en se revendiquant d’une idéologique radicale et étrange inspirée des préceptes de son ami Coëssin. Il en vient même à intenter un procès à sa mère et à obtenir une pension supplémentaire, bien vite dilapidée. Avec la chute de la monarchie de juillet et l’avènement de plus en plus probable d’un régime personnel de Louis Napoléon, Léon se redécouvre Bonapartiste et abreuve son cousin de missives pour qu’on lui confie un poste à la hauteur de son ascendance.
Lui qui a même caressé le rêve de devenir président de la République (sic.) ou député se contentera finalement de quelques subsides, bien peu à même d’éponger ses dettes. Il faut dire que dans les années 1850, Léon multiplie les projets fantasques, investissant à tort et à travers. Il s’acharne aussi à faire le succès de la Société Pacifique, fondation à but caritatif (l’auteur la compare même à un lointain ancêtre des Restaus du cœur) inspirée des idées de Coëssin. Etrange société que celle là, soit disant dévouée à la philanthropie et qui engloutit chaque mois des sommes énormes, sans que les nécessiteux en profitent réellement…
Vivant en couple depuis quelques années avec la fille d’un jardinier qui lui a donné deux fils et une fille, Léon va passer d’une aisance toute relative durant le Second Empire à une réelle misère après 1870. La chute du régime impérial le prive de toutes les subventions que l’Empereur lui accordait de mauvaise grâce. N’ayant plus pour lui que son étonnante ressemblance physique avec Napoléon, le comte Léon est forcé de mener une vie nomade pour échapper à ses créanciers. Il finira sa vie dans une ferme délabrée de Pontoise, terrassé par un cancer de l’estomac le 14 avril 1881. Symbole ultime de sa déchéance, l’employé de mairie chargée d’établir son certificat de décès, ira jusqu’à se tromper sur son nom et sa date de naissance…
Notre Avis
Le comte Léon, bâtard infernal de Napoléon, est un ouvrage plaisant et facile à lire. L’auteur au style enlevé et abordable, traite son sujet avec talent, d’une manière qui n’est pas sans évoquer les grands romanciers du XIXe (dont Léon aurait pu constituer un personnage admirable).
Néanmoins il s’agit là de petite histoire, où le sexe et les histoires tragicomiques d’argent l’emportent sur des considérations historiques plus élevées. L’auteur ne fait d’ailleurs pas ici d’œuvre d’historien mais plus de simple biographe d’un personne au rôle somme toute anecdotique.
Si on pourra retenir quelques réflexions très intéressantes sur les enjeux de la succession de l’Empereur et de la rivalité ayant opposée les sœurs de Napoléon aux Beauharnais, on regrettera que la bibliographie n’ait pas été plus fournie en termes d’études académiques. Quelques erreurs d’éditions (l’empereur Guillaume II en 1871 ?! sic. ) se sont glissées dans ces pages et c’est bien regrettable.
Néanmoins cette biographie est à recommander à tous les amoureux de la famille impériale et du XIXe siècle, ils y trouveront là conté avec talent le destin bien cruel mais riche d’enseignement du premier fils de Napoléon.
J VEBRET, Le comte Léon bâtard infernal de Napoléon, Editions du Moment, Paris, 2012.