4860-16Sous la Restauration, dès 1816, le roi Louis XVIII commande une dizaine de tableaux représentant les grands chefs de la révolte vendéenne qui en 1793 prirent la tête d’une armée de fortune composée de paysans pour défendre la Foi et le roi. C’est bel et bien l’image d’une résistance active, avec ses martyres, que le roi cherche à fixer, à mémorialiser. Le tableau de Jacques Cathelineau, simple roturier devenu premier généralissime de l’armée catholique et royale, est confié à Girodet. Loin de ne livrer qu’un pâle tableau pour assouvir les attentes politiques de la monarchie, le peintre exalte ce destin tragique dans un style où le néo-classicisme s’ouvre à l’aube du romantisme pictural. Un chef-d'œuvre aujourd’hui visible à Cholet, ville profondément marquée par les guerres de Vendée.

 

Anne-Louis Girodet

Né à Montargis en 1767, Girodet rejoint l’atelier de David en 1785. Il sera l’un de ses plus brillants élèves et portera haut les couleurs de la peinture néoclassique héritées de son maitre. Très affecté par le décès de ses parents en 1784 et 1787 le jeune Girodet devient le protégé du docteur Trioson. Ce dernier l’adopte finalement en 1809, dès lors le peintre se fait appeler Girodet de Roucy-Trioson, ou plus simplement Girodet-Trioson. Disqualifié du Prix de Rome en 1787, il remporte la seconde place en 1788 (avec « La mort de Titus ») et la première place en 1789 (avec « Joseph, reconnu par ses frères »).
 
Le lauréat séjourne alors à Rome jusqu’à l’exclusion des Français par les États pontificaux en 1793. Il reste néanmoins en Italie jusqu’en 1795, date à laquelle il retourne à Paris où il excelle dans les tableaux de diverses personnalités : Jean-Baptiste Belley, Mademoiselle Lange, Napoléon lors de son Consulat, Chateaubriand… Au style néoclassique hérité de David, Girodet ajoute un soupçon de romantisme qui en fait un des précurseurs de ce mouvement appliqué à la peinture. L’élève dépasse-t-il le maitre ? En 1810 son tableau sur le Déluge ravit la première place du Prix de la Décennie à David…
 
Héritant d’un bel héritage deux ans plus tard, Girodet se consacre à la poésie, mais ne néglige par pour autant la peinture puisqu’il participe à la décoration du château de Compiègne. L’année 1816 est celle qui nous concerne plus spécifiquement dans la vie de Girodet, il est alors nommé professeur aux Beaux-Arts de Paris et le nouveau monarque français va lui passer une commande historico-politique : peintre en pied le général Jacques Cathelineau, premier généralissime de l’armée catholique et royale en 1793.

Peindre le premier généralissime de l’armée catholique et royale

Cathelineau_par_GirodetComme le tableau de Louis de Lescure réalisé par Robert Lefèvre, le tableau de Cathelineau par Girodet fait partie de la série de tableaux de généraux vendéens commandée par Louis XVIII dès 1816. Le but étant toujours de valoriser les héros de la Contre-révolution, leur résistance, leur courage, leur religiosité et leur sacrifice pour le trône et l’autel.

Toutefois, le portrait de Cathelineau n’est pas sans poser problème… En effet, bien que généralissime de l’Armée catholique et royale, bien que considéré comme saint par certains, cette figure de proue de la révolte vendéenne n’a pas laissé de portrait et ses traits semblent avoir disparus avec lui dans la tombe. En effet, simple roturier, Cathelineau n’avait pas bénéficié de services d’un peintre et sa mort précoce dès 1793 n’avait pas laissé le temps à certains de ses compagnons d’immortaliser son visage. Pour pallier à ce manque de sources, Girodet va faire appel aux témoignages et à la description de témoins ayant bien connu le « saint de l’Anjou ». A l’origine de la commande, le comte de Pradel, directeur général du ministère de la Maison du roi, lui confie ainsi cette description :

« M. Jacques Cathelineau Général :

Vêtu en paysan, grande veste ave grandes poches et culotte gris bleu pâle, gilet croisé de laine blanche, une ceinture de toile blanche dans laquelle était placée une paire de pistolets ; un sabre à la hussarde ; un sacré cœur cousu sur l’habit, sur le cœur ; le Sacré-Cœur est un morceau de drap blanc carré sur lequel est un cœur rouge et une croix noire par-dessus ; un chapelet passé dans plusieurs boutonnières.

Une cravate d’un mouchoir Cholet, violet et blanc, un mouchoir pareil à la tête, noué à la vendéenne. Point de chapeau. Des guêtres de cuir, souliers très communs. Tenant son sabre baissé, montrant de l’autre main, comme signe de ralliement, une croix placée dans le paysage du tableau, de manière à ce que le général Cathelineau ait beaucoup d’énergie et de vivacité ; et la physionomie très douce, mais très animée. On peut faire on portrait sur la figure de son fils qui lui ressemble beaucoup ; mais ses yeux étaient plus grands. Sa physionomie, quoique douce était extrêmement vive et spirituelle ».

sabre

Comme on le voit, le comte de Pradel s’en remet au visage du fils pour redonner vie aux traits du père en laissant Girodet apporter quelques arrangements pour rendre plus réaliste le portrait d’un homme qu’il n’a jamais vu… Par contre, il offre une description vestimentaire assez précise, qui doit être le fruit d’une synthèse de témoignage (avec certainement un premier tri fait par le comte). Toutefois, on remarque que Girodet a pris quelques libertés avec cette description s’éloignant un peu du général « vêtu comme un paysan » pour lui donner des allures plus « distinguées ». Ainsi, les mouchoirs de Cholet que Cathelineau portait, comme beaucoup de Vendéens, se résument sur le tableau à un mouchoir jaune, bleu et rouge (au lieu de violet et blanc) porté autour du cou.
 
Cathelineau n’est pas représenté avec le mouchoir noué sur la tête, dont l’impact romantique était certainement moindre pour Girodet que les boucles châtain clair soulevées par le vent d’orage. Mais de nombreux autres détails ont été rajoutés par Girodet : si le sabre est bien un sabre de cavalerie légère on note l’ajout de fleurs de lys (symbole de la royauté française) sur la lame, Cathelineau porte des gants fins qui ne semble pas correspondre à la description d’un homme vêtu comme un paysan, mais aussi et surtout Girodet a ajouté une cape et un chapeau. La cape reprend le violet, une des couleurs que Cathelineau devait porter sur ses mouchoirs. Mais cette cape noire et violette, couleur de deuil, ne préfigure-t-elle par le drap mortuaire du général fauché dans la première année de l’insurrection ? Le chapeau quant à lui ne devait en aucun cas apparaitre dans le tableau, et pourtant il y est. Certes il n’est pas sur la tête, mais porté dans le dos, accroché au cou, laissant apparaitre quelques plumes blanches.
 
L’intérêt est très probablement symbolique, les plumes soutenant cette ambiance de douceur du personnage qui devait ressortir de son portrait. En extrapolant, on peut également se demander si ces plumes dans le dos du « saint de l’Anjou » n’ont pas carrément une connotation angélique.

vers15_girodet_001fL’ensemble de l’arrière-plan semble correspondre à la demande du comte de Pradel, mais les quelques pistes données ont été magnifiées par Girodet. Le coin supérieur gauche du tableau évoque la révolte du peuple vendéen (faux, faucilles et autres armes blanches brandies) réunie au sein de l’armée catholique (croix chrétienne) et royale (drapeau blanc flottant au vent avec pointe de hampe fleurdelisée).

La violence de la République et de ses armées, le tumulte de la révolte et de la bataille, sont symbolisés par le déchainement des forces de la nature : le vent de l’orage pousse les branches, déploie le drapeau, les éclairs déchirent l’arrière-plan et font échos aux salves tirées dans la partie inférieure du tableau d’où se dégage la fumée de la bataille. Cathelineau pointe une main gracieuse et un doigt déterminé vers le champ de bataille, appelant au combat ceux qui le suivent et vers qui il se retourne. Les éclairs forment une ligne parallèle à son bras en passant au niveau de ses yeux, tant et si bien que le généralissime semble diriger la foudre sur les armées républicaines tout en gardant un regard doux, mais électrique. Lui même reste inébranlable, comme les rochers qui l’entourent. L’obscurité de la cape, des nuages dans la partie supérieure, et des rochers dans la partie inférieure, contraste avec sa poitrine offerte à une intense lumière mettant en valeur le sens du combat et du sacrifice de cet homme : les pistolets symbole de la révolte vendéenne pour défendre la Foi (incarnée par le chapelet) et rétablir le roi sur le trône (symbolisé par l’écharpe blanche).

coeur

En conclusion, Girodet a utilisé pour ce tableau des éléments semble-t-il authentiques, du moins tels qu’on les lui avait rapportés par l’intermédiaire du comte de Pradel. Mais les détails portent un message qui le rend bien plus riche qu’un simple cliché historique : sans qu’aucun autre combattant n’apparaisse, Girodet réussit à évoquer la violence et les desseins des Guerres de Vendée, le tumulte de la révolte et de la guerre. Dans ces heures sombres où règne l’obscurité Cathelineau apparait comme un météore illuminant le conflit par la pureté de ses motivations affichées sur sa poitrine, foudroyant les armées républicaines en ordonnant aux hommes comme aux éclairs ! Mais comme tout météore il est voué à se consumer en éclairant les Hommes et déjà la cape semble se refermer sur lui en guise de drap mortuaire…

Le tableau est exposé au Salon de 1824 : le peintre Charles-Paul Landon, critique d’art et conservateur des peintures du Louvre souligna « l’énergie du pinceau, la vivacité de l’expression et ce beau fini qui distingue toutes les œuvres de Girodet ». La même année le peintre succombait et était inhumé au cimetière du Père-Lachaise. Le tableau quant à lui fut envoyé au Palais de Saint-Cloud avant de rejoindre Versailles en 1914 et finalement le musée d’Art et d’Histoire de Cholet où l’on peut aujourd’hui l’admirer.

.