rome_maSi la Rome antique est fameuse et célébrée, si celle de la Renaissance est reconnue, ce n’est guère le cas de la Rome du Moyen Âge, bien au contraire. Comme si, pendant mille ans, la capitale de l’Empire romain puis de la papauté n’avait été qu’une ville mineure d’Occident. Les explications sont nombreuses, parmi elles le rôle –comme pour le Moyen Âge en général- des humanistes de la Renaissance, ou encore la rareté des vestiges médiévaux, surtout si on les compare aux ruines antiques. L’ouvrage dirigé par André Vauchez est une bonne façon de remettre les choses à plat.

 

 

Pourquoi une Rome médiévale si peu connue ?

 

Dans son avant-propos, André Vauchez nous indique que le dernier ouvrage d’ensemble, en français, sur la Rome du Moyen Âge date de…1934 ! Il s’agit de Rome médiévale, 476-1420, de Léon Homo. Il y a de fait un certain désintérêt des chercheurs et du public pour cette période, surtout par rapport à la Rome antique.

 

L’une des explications possibles est la confusion entre l’histoire de la cité et celle de l’Eglise, laissant entendre que la première n’a pas d’identité propre au-delà de son statut de capitale du catholicisme. On peut également penser à la rareté des traces de la Rome du Moyen Âge dans la Rome actuelle, en comparaison de la Rome impériale ou moderne. Toutefois, ce deuxième point est en train d’évoluer depuis les années 1980, grâce à de nombreux travaux de fouilles, source d’un regain d’intérêt aujourd’hui et qui justifient le livre selon André Vauchez.

 

L’ouvrage Rome au Moyen Âge

 

Le (gros) volume est divisé en douze grandes parties, pour certaines chronologiques, pour d’autres thématiques. Il ne s’agit pas ici de faire le résumé de chacune, mais de présenter sommairement l’angle choisi par les auteurs pour nous faire (re)découvrir la Rome médiévale.

 

La première partie, Rome dans la mémoire et l’imagination du Moyen Âge, est probablement l’une des plus intéressantes, abordant cette Rome vue par les contemporains, pour sortir de l’image donnée par ceux qui leur succèdent immédiatement, les humanistes de la Renaissance. On apprend ici l’évolution d’une Rome concurrencée par Constantinople, vidée de ses habitants suite aux invasions barbares, considérée comme « veuve », mais qui fascine toujours les pèlerins, au moins jusqu’à la nouvelle concurrence d’Avignon. Une vision contrastée donc, entre légende noire et attirance pour ses mystères.

 

La seconde partie est plus clairement chronologique, puisqu’elle nous présente Rome lors de son passage de l’Antiquité au Moyen Âge. Nous passons donc des difficultés avec les invasions, tant barbares que byzantines (avec Justinien), puis lombardes. C’est aussi, voire surtout, la période où l’Eglise –sous influence orientale- commence à prendre une importance au sein de la cité, en particulier dans les rapports avec Byzance. Plus encore que Grégoire le Grand, c’est le pape Etienne II qui tient un rôle politique important, suivi d’Adrien Ier et Léon III (qui couronne Charlemagne empereur). Economiquement, malgré un creux au VIIIe siècle, Rome est en pleine expansion. Durant cette période, la société romaine évolue, s’inspirant en partie de la Rome impériale, avec une noblesse qui se veut dans la continuité du Sénat antique.

 

Le chapitre suivant s’intéresse justement de manière plus précise à l’aristocratie romaine du VIe au XIe siècle, comment elle mute et tente de prendre le contrôle politique de la cité. Le chapitre Société et économie (1050-1420) replace Rome dans son contexte italien, tout en insistant sur la carence des sources et les impasses des historiens, avant de s’attaquer à la période cruciale de réforme de l’Eglise durant le premier siècle de cette période. Surtout, nous apprenons dans cette partie le grand nombre de changements, voire de bouleversements, au sein de la société romaine et de son économie jusqu’au XVe siècle, choses que nous connaissons pour d’autres cités comme Florence, mais que nous ignorons le plus souvent pour Rome. Celle-ci connaît donc également, par exemple, sa période communale (étudiée en profondeur dans le chapitre La commune romaine).

 

Le zoom sur la cité continue avec les chapitres suivants. Nous voyons tout d’abord comment est organisée Rome durant le Moyen Âge, comment son urbanisation évolue de façon singulière au fil de la croissance démographique et économique. Puis l’ouvrage s’intéresse aux habitants, commençant logiquement par les clercs, puis par les pèlerins, les étrangers et des minorités comme les Juifs.

 

Les derniers chapitres sont eux plus orientés sur l’aspect artistique et culturel, et nous pouvons retenir principalement l’incontournable partie sur l’art, mais également l’original chapitre La culture du rire et de la dérision. On peut toutefois regretter l’absence d’une conclusion, certes difficile vu l’ampleur du sujet et la diversité des thèmes abordés, mais qui aurait pu faire miroir à l’avant-propos.

 

Complexe mais utile

 

L’ouvrage est donc plein comme un œuf, car il faut y ajouter une iconographie bienvenue et riche (en noir et blanc, et en couleur), deux cartes (un peu sommaires), une chronologie et une bibliographie qui se concentre sur l’essentiel, même si ce sont pour majorité des ouvrages en italien.

 

Rome au Moyen Âge est un livre en langue française, mais écrit par des auteurs (au nombre de treize) dont la moitié sont italiens, et qui a d’abord été publié en Italie (en 2006). Cela ne fait que l’enrichir. Cette richesse peut toutefois être l’une de ses faiblesses, car en voulant être le plus exhaustif possible sur un sujet effectivement trop négligé, les auteurs vont parfois dans une certaine complexité qui pourrait rebuter le grand public français.

 

Il ne faut donc pas voir Rome au Moyen Âge comme un ouvrage général sur la Rome médiévale, mais plus comme un recueil d’articles scientifiques sur le sujet. Cela ne le rend pas moins passionnant, le lecteur doit seulement en être averti. En revanche, tout étudiant se destinant à travailler sur la Rome médiévale, mais plus largement sur l’Italie du Moyen Âge, se doit de le connaître et de l’avoir plus que parcouru. Car il est difficile de ne pas en faire une nouvelle référence.

 

 

 

- A. Vauchez (dir.), Rome au Moyen Âge, Riveneuve éditions, 2010 (Italie 2006), 519 p.

.